Monday, March 19, 2007

NOS-ANIMAUX-PREFERES

Antoine Volodine



Nos animaux préférés [ Entrevoûtes ]
Seuil, Fiction & Cie, 2006





Extractions




L’amertume nihiliste et un ton goguenard caractérisent la Shagga des sept reines sirènes. On sent la volonté de ses auteurs de décrire le chaos historique et ses soubresauts comme une sorte de carnaval où plus grand-chose n’a d’importance : plus aucune lutte n’aboutit, le destin de chacun est de meurtrir ou d’être tué, tandis qu’alentour prospère une pagaille sanglante. L’autodérision rôde à travers les lignes, scellée par une dévalorisation systématique de ceux qui parlent ou qui agissent. Et, finalement, sous la faconde ironique se cache à grand-peine un cri, douloureux, désabusé et sans avenir.

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Le temps s’allongea. Comme toujours quand madame la gauche mort hante les parages, minutes et heures ont tendance à se confondre. Elles se confondirent.

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Même si on ne te dit rien pendant mille neuf cents ans, tu te dresseras hors de la flaque et tu essaieras d’imaginer ce qui se déroulait avant le présent, tu essaieras d’imaginer que jadis tu possédais une relation personnelle aux choses. Tu émergeras longtemps après l’aube, mais encore dans l’ère géologique du petit jour, et tu seras lasse, misérablement oblique et lasse. Pour toi ce matin-là on aura éclairé le ciel avec des pierres, pour toi seule on aura déblayé les gravières de leur obscurité, afin qu’au moins soit visible l’empreinte de ton évasion : ainsi ta mémoire ne sera pas totalement vide. Rien ne témoignera ailleurs et autrement de ton existence, nulle voix ne commentera ton amnésie, ta solitude, ton éternité et ton mutisme.

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Quand tu seras couché à une place enfin appropriée, sur un champ d’ordures et plus becqueté d’oiseaux que dé à coudre, il t’arrivera encore, disons une ou deux fois par jour, d’avoir l’illusion de la conscience, et, chaque fois que tu ouvriras les paupières, les oiseaux surpris par ce bruit inattendu s’envoleront de gauche à droite, toujours dans le même sens qui s’explique peut-être par autre chose qui nous échappe et qui nous échappera toujours ; ils s’envoleront à l’intérieur de ton silence, comme désireux de provoquer avec leurs ailes un vacarme plus assourdissant et plus riche que celui qu’auront fait naître tes membranes.

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Il y eut un temps où sur les surfaces de brique la peinture blanche servait à construire une histoire et à appeler à l’aide ou à la révolte, il y eut un temps où des hommes et des femmes niaient l’idée de la défaite, il y eut un temps où même les animaux savaient établir la différence entre l’envers et l’endroit du décor.

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- Qui t’a dit ça ?
- Avant d’être nommé aux registres, j’ai reçu une formation, dit l’humain. On était deux, plus la prof. C’est elle qui racontait ça. Elle nous faisait une description de l’était du monde. Elle prétendait que les générations futures auraient du mal à s’adapter.
- Les lacs immenses de bitume, c’est des conneries, assura Wong. J’ai tellement erré dans tous les coins que j’en aurais vus, si ça existait. Et les générations futures, c’est des conneries aussi. On n’aura pas de successeurs, on va s’arrêter là.
- Tu crois ?
- J’ai l’impression, dit Wong. A la rigueur, les araignées prendront la relève. Je leur souhaite bien du plaisir.



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