Monday, February 20, 2006

LUTTE-AVEC-LA-NUIT

William SLOANE

Edition Originale: To Walk the Night, 1936
Editions Rencontre


Extractions

Certaines expériences sont opposées à la vie quotidienne ; elles sont condamnées à errer dans la nuit avant que l’humanité les reconnaisse ou bien les écarte comme relevant uniquement du domaine de l’imagination.

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La seule faute impardonnable est la faiblesse. Et maintenant, il lui semblait que son fils avait commis un acte faible et déshonorant. Les bases de sa vie étaient atteintes. Tout ce pour quoi il vivait, et qu’il avait inculqué à son enfant, était souillé par un geste. Maintenant, il ne restait dans sa vie rien de plus important que de sonder les motifs de l’acte de Jerry, afin – son instinct le lui disait – de trouver l’honneur et le courage dissimulé derrière le fait immédiat.

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Cela m’a semblé bon. C’était un fin produit irlandais, qui devait provenir d’une cave familiale. Nos beuveries et nos paroles, telles que je vous les rapporte, doivent vous paraître déplacées. Peut-être qu’elles l’étaient, mais après un choc tel que celui que nous avions subi, la faculté d’émotion se retire dans quelque coin tranquille du cerveau, et cède la place à une dureté superficielle, une sorte de protection, qui barre la route à la folie.

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C’est une obligation d’aller au fond des choses, de faire tout ce qui s’impose dans une période de malheur.

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Il restait sur la défensive, et pas seulement à cause de la situation délicate ; c’était même plus que de la défensive, c’était la crainte d’un danger. Je n’aurais pu, à ce moment là, le dire d’une manière aussi précise, mais il était tel que devait l’être un invité à la table des Borgia, qui vient de reconnaître dans son verre l’âpre goût du poison, et qui tente de dissimuler ce qu’il ressent.

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Peut-être que les Italiens vivent heureux sur les pentes du Vésuve, mais je ne suis pas de leur espèce.

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Elle n’avait jamais compris que les petites attentions adoucissaient les relations humaines. Elle pouvait parler parfaitement, sur beaucoup de sujets, mais elle n’était pas préparée à converser, et ce sont les conversations libres et pétillantes, le badinage, qui me conviennent. Quand elle parlait, elle ne faisait jamais d’allusions, elle n’avait aucun souvenir à rappeler, elle ne disait jamais de sottise. Chacune de ses phrases était un exposé ou une question. Elle riait rarement, mais elle avait un sens de l’humour silencieux, si l’on peut dire, car à certains moments elle laissait voir un sourire désabusé, presque intérieur, qui me faisait croire qu’elle jouissait égoïstement de quelque idée.

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J’étais résolu à trouver qu’un certain degré d’ignorance était pour les femmes un grand facteur de charme.

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Savez-vous, Bark, que tout ce que me dit Séléna n’est fondé que sur le présent ou l’avenir ? (Il s’est arrêté un instant pour regarder le ravin et le désert). Vous avez remarqué que ce que disent les gens a presque toujours trait à leur enfance, à leur passé, à des personnes, à des souvenirs qu’ils évoquent, à de petits traits familiers ; sans le savoir, toue le monde est ainsi…sauf Séléna !

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Supposez-vous, a-t-elle dit enfin, que vous êtes seuls dans l’énorme espace qu’est l’univers ? Vous croyez-vous être l’ultime produit de la création ? Rien n’est unique autour de vous.


READ DURING WEEK 07/06


UNE-PORTE-SUR-L'ETE

Robert HEINLEIN

Edition Originale: The Door into Summer
Editions Rencontre 1970

Extraits

Pourquoi ne pas me défiler et oublier mes ennuis en dormant ? Ce serait plus réjouissant que de rejoindre la Légion étrangère, moins salissant qu’un suicide, et cela me séparerait totalement des gens et des circonstances qui m’avaient rendu l’existence si amère. Pourquoi pas, en vérité ?

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Voyons. Je pouvais le mettre dans une pension de chats jusqu’à sa mort. Impensable… Ou l’abandonner. Voilà où on en arrive, avec un chat : ou on s’astreint à faire honneur à cette obligation qu’on s’est imposée… ou on abandonne la pauvre bête à un sort de sauvage, on détruit sa foi en la bonté humaine.

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J’avais connu Ricky la moitié de sa vie, et s’il y eut jamais fille droite comme un I, c’était bien elle. Pete lui faisait également confiance. Par ailleurs, elle n’avait pas de ces particularités physiques qui obnubilent les jugements masculins. Sa féminité ne dépassait pas son visage, son corps n’avait pas encore été atteint.

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Cette sensation est difficile à définir en raison de son caractère entièrement subjectif, mais, tout en ayant bonne mémoire des événements d’ «hier », je ressentais à leur égard l’espèce de recul que l’on éprouve pour les choses du passé… L’image conservée par ma conscience était au premier plan, celle de ma réaction émotive concernait un souvenir lointain.

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Le trésorier était un être humain, malgré son air de trésorier. Il me serra vivement la main.

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Les prisons avaient été améliorées. Celle ou j’atterris était bien chauffée, et je crois qu’on exigeait des cafards qu’ils s’essuient les pieds avant d’entrer.

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Il était visible qu’elle considérait toujours son corps comme un atout principal. Son négligé à fermetures Eclair électrostatiques, qui la découvrait infiniment trop, soulignait cruellement son aspect de mammifère femelle suralimenté et sédentaire.

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Je me rendis au bar réservé aux chefs de service pour y fulminer à mon aise. Cette buse de Mac pensait qu’un travail productif devait se faire au métronome. Pas étonnant que la firme n’est rien sorti depuis des décades…

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- Utilisez votre cervelle, Danny ! Avec un vaisseau interstellaire, vous vous dirigez. Mais dans quelle direction est la semaine dernière ?

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Elle dit souvent que les gens ont obligés de raconter des blagues, sans quoi ils ne se supporteraient pas. Elle dit aussi que les blagues ont été faites pour qu’on en use sans en abuser.


READ DURING WEEK 06/06


Wednesday, February 08, 2006

NAVIGATEURS-DE-L'INFINI

J-H Rosny Aîné

Editions Rencontre, 1960

Extraits

Parfois, un animal moins prudent que les autres s’arrêtait à quelque distance pour nous observer de ses yeux multiples ; si nous marchions vers lui, il ne tardait pas à détaler.
- Ceux-là sont peut-être plus intelligent… Ils cherchent vaguement à se rendre compte… Quelle chance, Jean, si nous rencontrions des êtres quasi humain !
- Ou quelle malchance ! S’ils allaient être aussi intelligents et aussi féroces que les hommes ?…

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- Alors, vous les croyez réellement inoffensifs ?
- Ils sont déjà, par nature, enclins à une douceur plus grande que les humains… une douceur où il entre beaucoup de résignation.
- Pourquoi de la résignation ?
- Ils savent qu’eux-mêmes et tout leur règne ont en décadence ! Ils le savent en quelque sorte d’une manière innée, en même temps que par tradition… Notre présence leur inspire naturellement une intense curiosité, et leur donne, si j’ai bien compris, de confuses espérances.

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Oui, nous comprenons… Je crois même que nous pourrions apprendre tout ce qui se fait sur la Terre. Mais nous ne savons plus tirer des notions nouvelles de nos anciennes… nous ne le savons pas et nous en avons perdu le goût. Cela nous semble si inutile ! Peut-être ne serait-ce qu’une cause de malheur… Par le retour de cette prévoyance aiguë, inestimable pour les races jeunes, désespérante pour les races vieilles. Mieux vaut mille fois ne pas songer à l’avenir, nous engourdir dans le présent, dont nous ne souffrons que lorsque les vies inférieures nous menacent.

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Violaine écoutait, rêveuse. Son visage ne gardait aucune trace du funeste accident. Pour moi, je subissais cet effroi rétrospectif si violent chez les êtres d’imagination. Et l’idée qu’une ou deux minutes plus tard la mort apparente serait devenue la mort éternelle me donnait de brusques chocs au cœur.

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Ce que nous appelons la beauté n’est qu’une fable humaine. Même sur la Terre, elle n’a aucun rapport avec la réalité.

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Rien qu’une étreinte, la plus chaste, la plus innocente, pour faire ce bonheur au-delà de tous les rêves, de tous les beaux mirages créés à travers les temps par les créatures périssables qui tentent désespérément de dépasser leur destin.

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- Je suis seul à en souffrir, et seulement certains jours. La décadence n’est pas un mal ; souvent, j’estime que c’est un bien.

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Comment est né le règne éthéral ? Quelles modifications a-t-il subi au cours des âges ? Ces questions sont insolubles, puisque les Ethéraux n’ont pas d’annales et que leurs souvenirs ne dépassent pas une période si courte qu’ils n’ont pu en dégager la notion abstraite du temps. Pour eux, il n’existe qu’une espèce de présent, sans cesse en voie de transformation, sans repères lointains dans le passé, donc pas de tradition, rien qui ressemble à notre histoire générale ni même individuelle.


READ DURING WEEK 05/06


ROBOT-BLUES

Philip K. DICK

Edition originale: Do Androids Dream of Electric Sheep?, 1968
Editions Champs Libre, 1976

Extraits

Des spéciaux n’arrêtaient pas de venir au monde, engendrés par des normaux grâce à cette foutue poussière. Comme le proclamaient les affiches, les spots publicitaires à la télé et le propagande de merde que le gouvernement envoyait à tout le monde par la piste : « Emigration ou détérioration ! Emigrez ou dégénérez, c’est à VOUS de choisir ! »

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Ainsi s’était effectuée l’immigration. L’androïde servait de carotte, les retombées radioactives de bâton. L’ONU avait rendu l’émigration facile et s’était ingéniée à rendre la vie difficile, sinon impossible, à ceux qui restaient. Traîner sur Terre, c’était s’exposer à la menace d’être un jour ou l’autre décrété biologiquement inacceptable, taré, dangereux pour la préservation de l’espèce. Une fois étiqueté « spécial », et quand bien même stérilisé, on sortait littéralement de l’Histoire. On cessait de faire partie de l’humanité.

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Il vivait seul dans le grand immeuble, aveugle et dégradé, avec ses mille appartements inoccupés, qui retournait peu à peu, comme tous ses semblables, à l’entropie, aux ruines… A la longue, l’immeuble tournerait en ratatouille indistincte, fatras sans nom empilé du plancher au plafond de chaque appartement, couches indifférenciés d’un pudding hétérogène et pourtant homogène. Ensuite, l’immeuble lui-même perdrait peu à peu sa forme, rejoignant dans son ubiquité triomphante la cendre et la poussière.

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De toute évidence, l’empathie appartenait en propre à l’esprit humain, alors que l’intelligence se retrouvait, avec des différences de degré, à tous les échelons de l’évolution, jusque chez les arachnides. D’abord la faculté empathique ne pouvait appartenir qu’à un animal social. Un organisme solitaire, comme celui de l’araignée, n’en avait aucun besoin. Bien au contraire, l’empathie amoindrirait probablement les chances de survie de l’araignée qui en serait dotée. Elle deviendrait consciente du désir de vitre de sa proie. Avec une telle faculté, tous les prédateurs, y compris les mammifères les plus évolués, les félins, crèveraient de faim.

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Il songea encore au besoin qu’il éprouvait de posséder un animal vivant, à la véritable haine qu’il commençait à ressentir pour son mouton électrique qu’il entourait d’autant de soins que s’il avait été vivant. « Comme les objets sont tyranniques, pensa-t-il. Ce truc ne sait même pas que j’existe. Comme les androïdes, il est incapable de se rendre compte de l’existence des autres. »

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La bistouille, c’est tous les objets qui ne servent à rien, les fouillis, les trucs inutiles, le courrier publicitaire, les boîtes d’allumettes vides, les papiers de chewing-gum et les journaux de la veille. Quand il n’y a personne, la bistouille se reproduit. Tenez, si vous allez vous coucher en laissant de la bistouille traîner chez vous, le lendemain matin, vous en trouvez le double. Ça n’arrête pas de croître.

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Le ramassage des ordures était devenu une des premières industries terriennes. La planète tout entière se transformait peu à peu en dépotoir et pour qu’elle continue d’être habitable par la population restante, il fallait, de temps en temps, faire disparaître une certaine quantité de débris de toute sorte. Sinon… comme aimait à le dire l’Ami Buster, la Terre ne disparaîtrait pas sous les retombées radioactives, mais sous les ordures ménagères…

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- Le test que vous voulez me faire passer…
Sa voix commençait à revenir.
- …vous l’avez passé, vous ?
- Oui, acquiesça-t-il, il y a longtemps, très longtemps, quand je suis rentré dans la maison.
- C’est peut-être un faux souvenir. Les androïdes ont souvent de faux souvenirs.

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« Il faut que je lui dise, songea Rick. C’est immoral et cruel de ne pas le faire. Monsieur Resch, vous êtes un androïde, dit-il en lui même. Vous m’avez sorti d’ici et voici votre récompense ; vous êtes tout ce que l’un comme l’autre nous exécrons. L’essence de ce que nous nous consacrons à détruire. »

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- On te demandera de faire le mal où que tu ailles. C’est le fondement de la vie : avoir à violer sa propre identité. Chaque créature vivante y est amenée un jour. C’est l’ombre ultime, la défaite de la création ; c’est l’ouvrage de la fatalité ; la fatalité qui se nourrit de la vie. Partout dans l’univers.

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« Pharmacien sur Mars », lut-il sur la fiche de renseignements. C’était, du moins, la couverture choisie par l’Andro. Mais c’était probablement un manuel, un ouvrier agricole rongé d’ambitions. Les androïdes rêveraient-ils ? se demanda Rick. Bien sûr, puisqu’il leur arrive de tuer leur patron pour s’enfuir vers la Terre. Vers une vie meilleure, sans servitude.

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Elle sourit avec une légèreté qui tranchait bizarrement sur ses propos. Rick était incapable de dire si elle était sérieuse. L’importance, la gravité du sujet qu’elle abordait ne l’empêchait pas de parler sur un ton badin. « Peut-être se comporte-t-elle tout simplement comme une androïde, songea-t-il. Aucune émotion réelle, aucun sens de la signification réelle de son discours. Rien qu’une compréhension purement intellectuelle, abstraite, une réduction atomiste du monde à un ensemble de constituants sans lien les uns avec les autres… »

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En apparence, elle avait recouvré un semblant de dignité. Mais sous la surface, elle restait aussi tendue et frénétique. Cette flamme même finit par vaciller ; l’élan vital s’échappait d’elle par tous les pores de sa peau, comme ça arrivait si souvent à des androïdes. Une résignation classique. L’acceptation intellectuelle, quasi mécanique, de ce à quoi un véritable être vivant, avec deux milliards d’années de lutte pour la vie inscrites dans ses gènes, ne se serait jamais résigné.


READ DURING WEEK 03-04/06