Sunday, August 28, 2005

INGENIEURS-DU-COSMOS

Clifford D. Simak

Edition originale: Cosmic Engineers, 1950
Editions Albin Michel, 1975


Extrait

« - Nous devrions peut-être partir maintenant, suggéra l’Ingénieur. Les autres nous attendent. Ils sont venus de si loin, beaucoup même de plus loin que vous.

- Combien sont-ils ? demanda Gary.

- Très peu, répondit l’Ingénieur. Si peu. La vie est si difficile à trouver dans l’univers. L’univers ne se soucie pas de la vie. Je pense souvent que la vie est simplement une étrange maladie qui ne devrait pas être la du tout, une disposition accidentelle de la matière qui n’a pas le droit d’exister. L’univers lui est si hostile qu’elle semble presque anormale. »


READ DURING WEEK 34/05

Sunday, August 21, 2005

LA-VOIX-DU-MAITRE

Stanislaw Lem

Edition originale: Glos Pana, 1968
Denoel, Pr
ésence du futur, 1976

Extraits

« La psychanalyse livre des vérités à l’aide d’une méthode infantile, valable pour les lycéens : elle nous apprend, brutalement et à la hâte, des choses qui nous choquent et nous contraignent à l’obéissance. Il se produit parfois que des simplifications frôlant la vérité, il est vrai, mais de mauvaise qualité, n’aient pas plus de valeur que le faux. Une fois de plus on nous a montré le démon et l’ange, la bête et le dieu, enlacées dans une étreinte manichéenne, et une fois de plus l’homme a été innocenté par lui-même, parce qu’il serait le terrain de luttes entre des forces qui se seraient glissées en lui, l’auraient rempli et se prélasseraient dans sa peau. C’est pourquoi la psychanalyse est avant tout un « lycéanisme ». Ce sont les scandales qui doivent nous exposer ce qu’est l’homme, tandis que tout le drame de l’existence se joue entre un cochon et l’être sublimé en quoi peut le transformer l’effort de la culture. »

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« Je fais de l'insignifiance absolue de la personne les prémices de ma sincérité; autrement dit, ce qui me contraint à une expansivité en principe insupportable, c'est uniquement l'impossibilité où je suis de me rendre compte où finit le caprice statistique de la composition de l'individu et où commence la règle de l'espèce. »

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« J’ai élaboré naguère un programme destiné à l’expérience que faisait l’un de mes amis : cela consistait à établir le modèle, dans le milieu des machines à calculer, d’une famille de créatures neutres, autrement dit d’homéostats qui devaient apprendre à connaître ce milieu sans posséder au départ aucun caractère ni « émotionnel » ni « éthique ». Ces créatures se multipliaient – seulement dans la machine, évidemment, et donc sous une forme qu’un profane aurait qualifié une sorte de « calcul » - et après plusieurs dizaines de « générations » se manifestait et réapparaissait sans cesse, dans les « exemplaires », un caractère absolument incompréhensible pour nous, une sorte de pendant de l’ « agressivité ». Après des calculs infiniment laborieux et vains, mon ami au désespoir commença enfin – poussé précisément par le seul désespoir » - à étudier les circonstances les plus insignifiantes de l’expérience, et il apparut alors qu’un certain transmetteur réagissait aux modifications du degré d’hygrométrie, lesquelles devenaient l’agent non détecté de la déviation.
Il m’est difficile de ne pas penser à cette expérience alors que j’écris ceci, car ne pourrait-il pas se faire que le développement social nous ait élevé à partir du règne animal selon une courbe exponentielle, alors que nous ne sommes fondamentalement pas préparés à une telle évolution ? »

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« C’est une chose extrêmement curieuse que les signes de notre imperfection en tant que représentants de l’espèce n’aient jamais, par aucune religion, été reconnus pour ce qu’ils sont tout simplement, à savoir pour les résultats d’actions erronées ; tout au contraire, dans la pratique, toutes les religions sont d’accord dans leur conviction que l’imperfection de l’homme est le résultat de la confrontation démiurgique de deux perfections antagonistes qui se sont mutuellement fait du mal…L’ami dont j’ai déjà parlé a formulé cela de façon caricaturale, en disant que selon Hogarth l’humanité est un bossu qui, dans son ignorance du fait qu’on ne peut pas l’être, recherche depuis des milliers d’années les symptômes d’une nécessité supérieure décidant de l’existence de sa bosse, étant donné qu’il est prêt à admettre n’importe quelle version, excepté celle qui dirait que cette infirmité est tout simplement le fait du hasard, que personne ne l’en a affligé dans une intention supérieure, que cela ne sert à personne, mais que tout simplement les détours et déviations de l’anthropogenèse ont précisément ainsi établi la chose. »

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« Le génie n’est pas tout simplement une lumière, mais avant tout la perception incessante de l’obscurité ambiante. »
« Je suis bien incapable de comprendre pourquoi on ne laisse pas circuler sur les routes des gens qui n’ont pas leur permis de conduire, alors que les rayons des libraires peuvent se garnir, en quantité aussi abondante que l’on voudra, de livres de gens dépourvus de toute décence – pour ne pas parler de connaissances. »

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« Du moment que nous ne comprenons pas l’énigme, il ne nous en reste en fait rien d’autre que ces circonstances, qui devaient être seulement un échafaudage et non un édifice, un processus de traduction et non le contenu de l’œuvre. N’avons nous pas quitté le Projet infiniment plus riches que nous y étions rentrés ? De nouveaux chapitres de la physique des coloïdes, de la physique des fortes interactions, de l’astronomie neutrinique, de la nucléonique, de la biologie, et avant tout des connaissances nouvelles sur le Cosmos constituent en effet les premiers pourcentages de ce capital d’informations qui, de l’avis des spécialistes, promet de nouveaux bénéfices.
Assurément. Mais les avantages sont fréquemment divers. Des fourmis qui ont rencontré dans leur errance un philosophe mort en ont profité, elles aussi. »

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« Le mécanisme de l’adaptation psychique est implacable. Si quelqu’un avait dit à Marie Curie que cinquante ans plus tard, sa radioactivité donnerait naissance à des gigatonnes et à l’overkill, sans doute n’aurait-elle pas eu l’audace de travailler, et très certainement déjà, elle n’aurait pas retrouvé le calme qui précédait la menace contenue dans cette prédiction. Mais nous, nous nous y sommes habitués, et les hommes qui dénombrent les kilo-cadavres et les mégadépouilles ne sont tenus pour fous par personne. Notre capacité de nous adapter et notre acceptation de tout ce que cette capacité entraîne est l’une des plus graves menaces qui pèsent sur nous. Des créatures qui peuvent être modelées pour s’adapter à tout ne peuvent pas avoir une moralité dépourvue de toute élasticité. »

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« L’immense majorité des produits matérialisés de la raison est investie dans des travaux de type sybaritique. Un téléviseur construit avec intelligence diffuse des inepties intellectuelles, les magnifiques techniques des transports servent à permettre à un imbécile, au lieu de se saouler chez lui, de la faire à proximité de Saint-Pierre de Rome. Si cette tendance devait aboutir à une invasion des moyens techniques à l’intérieur des corps humains, on en arriverait certainement à chercher à élargir au maximum la gamme des impressions de plaisir, et peut-être même à rendre accessibles des plaisirs autres que le sexe, la drogue, le plaisir gastronomique, des sortes encore totalement inconnues d’excitations et de satisfactions.
Du moment que nous possédons dans le cerveau un « centre du plaisir », qu’est-ce qui nous interdirait d’y rattacher des organes sensitifs synthétiques, permettant d’obtenir des orgasmes mystiques et non-mystiques, à l’aide de pratiques spécialement planifiées et inventées, parce que libérant des extases de longue durée ? Une auto-évolution ainsi réalisée revient à s’enfermer définitivement dans la culture, dans les mœurs, à se couper du monde d’au-delà des planètes ; elle semble être une forme particulièrement plaisante de suicide intellectuel. »

READ DURING WEEK 33/05

Sunday, August 14, 2005

L'ETOURDISSEMENT

Joël Egloff

Buchet/Chastel, 2005

Extraits

« Le matin ne ressemble pas à l'idée qu'on se fait du matin. Si on n'a pas l'habitude, on ne le remarque même pas. La différence avec la nuit est subtile, il faut avoir l'oeil. C'est juste un ton plus clair. Même les vieux coqs font plus la distinction.
Certains jours, l'éclairage public ne s'éteint pas. Le soleil s'est levé, pourtant, forcément, il est là, quelque part au-dessus de l'horizon, derrière les brumes, les fumées, les nuages lourds et les poussières en suspension.
Il faut imaginer un sale temps par une nuit polaire.
C'est à ça qu'elles ressemblent nos belles journées. »

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« En chemin, on reparle longuement de l’accident, du pauvre Pignolo qui était encore vivant pas plus tard que ce matin et qui est plus de ce monde à l’heure qu’il est.
- C’était vraiment un chic type, hein ? je fais à Bortch un peu pour voir ce qu’il en pensait, lui.
- C’est sûr, il me répond, un gars comme on n’en fait plus.
Mais y a pas vraiment d’enthousiasme dans nos éloges. Le ton y est pas. Ça manque de conviction et ça se sent bien.
C’est comme ça que, de fil en aiguille, on se lâche un peu et on est bien forcés de reconnaître que le fait de mourir, ça rend les gens tout de suite plus sympathiques, et on finit par s’avouer qu’en fait on l’aimait pas trop, ni l’un ni l’autre. C’est même peu dire, on pouvait pas le sentir, vu que c’était quand même une belle enflure. Toujours le premier pour les coups tordus. Un sacré faux cul.
- Un beau saligaud, en fait, ce Pignolo, conclut Bortch.
- Si la veuve pense comme nous, je lui fais remarquer, ça devrait pas trop mal se passer.
- Evidemment qu’elle pense comme nous, il me répond. Sûr qu’il devait la cogner, cette brute, quand il rentrait bourré. Tu vas voir qu’elle va nous sauter au cou en apprenant la nouvelle.
- Ça on peut pas le savoir, je lui fais, faut pas s’emballer. On va pas insulter le défunt devant la veuve. On est tenus à une certaine réserve, quand même. Et puis on peut pas le juger comme ça, je lui dis encore. Peut-être bien que l’expérience de la mort, ça l’aurait complètement transformé s’il avait survécu. Et peut-être que ce serait devenu un type extra.
- C’est ce qu’il faut se dire, t’as raison, reconnaît Bortch.
- Pauvre Pignolo. C’était pas le mauvais bougre.
- Si brusquement…
Comme on approche, tout doucement, on commence à se demander de quelle manière on va s’y prendre pour lui annoncer, comment on va bien pouvoir lui dire. C’est pas facile, faut y aller en douceur, on s’est jamais trouvé dans une telle situation, alors on essaie de se préparer un peu, on cherche les mots qui pourraient convenir, les formules de circonstance.
Je me dis que je vais d’abord lui annoncer qu’elle va toucher une petite rente. Ça va lui faire plaisir. Elle me demandera pourquoi. Alors seulement je lui dirai ce qui est arrivé et ce sera sûrement moins dur à avaler. Bortch est pas convaincu. Il voit ça d’un ton beaucoup plus solennel, lui, quelque chose du genre : « Madame Pignolo, votre époux est mort en héros – Faut rien exagérer », je lui réponds. Et puis on essaie tout ce qui nous passe par la tête : « Madame Pignolo, on n’a pas une bonne nouvelle. » « Madame Pignolo, on a une mauvaise nouvelle. » « Madame Pignolo, il va falloir être forte. » « Madame Pignolo, votre mari a pas eu de veine. » « Madame Pignolo, vous allez rire… » »Madame Pignolo, il a plus à Dieu… » « Madame Pignolo, devinez ce qui nous amène ? » Et finalement, comme on n’arrive pas à tomber d’accord, on se dit qu’on avisera sur place, et qu’en situation on saura bien trouver les mots. Le plus sobre sera le mieux.
T’auras qu’à me laisser faire, me dit Bortch, si ça t’embête.
Je te remercie, je lui réponds, mais je préfère m’en charger.

READ DURING WEEK 32/05