Saturday, March 25, 2006

L'OISEAU-D'AMERIQUE

Walter TEVIS


Edition Originale: Mockingbird, 1980
Editions 10/18, Domaine Etranger, 1980

Extractions


« La vie intérieure de l’homme est un vaste royaume qui ne se contente pas de stimulations provoquées par des arrangements de couleurs et de formes » Edward Hopper


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Un certain nombre de caractères humains avaient été modifiés. C’était, ainsi que les ingénieurs généticiens se plaisaient à le dire, une amélioration de la création de Dieu. Et comme aucun de ces ingénieurs ne croyait en l’existence d’un Dieu quelconque, leur autosatisfaction n’était guère justifiée.


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- Ouais, l’androïde. Quand j’étais gosse, on appelait andros tous les mach…, tous les types comme toi. Vous n’étiez pas aussi nombreux à cette époque. Vous n’étiez pas aussi intelligents, non plus.
- Et ça te pose un problème que je sois intelligent ?
- Non, répondit Arthur. Bordel, non ! Les gens aujourd’hui sont tellement cons que ça file envie de chialer.


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Il venait de prendre conscience d’une réalité qui n’allait pas le quitter pour le reste de sa très longue existence : il ne désirait pas vraiment vivre. On l’avait trompé, horriblement trompé, en le privant d’une véritable existence humaine. Quelque chose en lui se rebellait contre l’obligation de vivre une vie qu’il n’avait pas voulue.


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Il y avait eu, devait-il découvrir, une centaine de Classe Neuf nés d’un clonage et dotés de copies du même cerveau humain original. Il était le dernier et des ajustements spéciaux avaient été pratiqués aux synapses de son cerveau métallique pour éviter ce qui était arrivé aux autres robots de la série : tous s’étaient suicidés.


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Regarder sans cesse autour de soi et réfléchir exige parfois un tel effort, devient parfois si déconcertant que je me demande si les Concepteurs n’en avaient pas conscience quand ils ont pratiquement interdit au citoyen ordinaire d’utiliser un enregistreur ou bien quand ils ont décidé qu’on nous inculque à tous, des notre plus jeune âge, ce principe de sagesse : »Dans le doute, n’y pense plus ».


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Les détecteurs ne détectent absolument plus rien, reprit-elle. Et peut-être ne l’ont-ils jamais fait. Ils n’ont pas besoin de le faire. Les gens sont tellement conditionnés depuis leur enfance que plus personne ne fait jamais plus rien.


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Je restais figé, ne sachant quoi faire ni quoi dire. Je ressentais quelque chose de comparable à ce que j’avais ressenti devant certains films : l’impression de me trouver face à de grandes vagues de sentiments éprouvés jadis par des gens aujourd’hui disparus et qui comprenaient des choses que je ne comprenais pas.


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La lecture est trop intime, dit Spofforth. Elle conduirait les humains à s’intéresser de trop près aux sentiments et aux idées des autres. Elle ne pourrait que vous troubler et vous embrouiller l’esprit.


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Quand j’étais petite, Simon me parlait de sujets comme le cycle de l’eau ou bien la précession des équinoxes. Il avait un vieux tableau noir et un bout de craie ; je me rappelle le dessin qu’il m’a fait de la planète Saturne avec ses anneaux. Lorsque je lui ai demandé comment il avait appris toutes ces choses, il m’a répondu qu’il les tenait de son père dont le propre père, quand il était jeune, observait le ciel nocturne dans un télescope céleste, il y avait de cela très longtemps, peu après ce que Simon appelait « la mort de la curiosité intellectuelle ».


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Simon me disait souvent quand j’étais petite que tout foutait le camp et que c’était temps mieux. « L’âge de la technologie s’est rouillé », disait-il. Eh bien, c’est devenu pire au cours des quarante jaunes qui ont suivi la mort de Simon.


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Je ne levai pas les yeux sur lui ; je continuai, d’un air endormi, à fixer le dessin aux couleurs vives sur le côté de la boîte de céréales. Il représentait le visage d’un homme, un visage censé inspirer la confiance. C’était un personnage dont presque personne ne connaissait le nom et qui souriait au-dessus d’un grand bol rempli de flocons de protéines synthétiques. La présence des céréales dans le dessin était, bien entendu, nécessaire pour que les gens puissent identifier le contenu de la boîte, mais je m’étais longtemps interrogée sur la signification de ce visage. Il faut bien admettre que Paul poussait toujours les gens à se poser des questions sur ce genre de sujet. Il faisait preuve de beaucoup plus de curiosité sur le sens des choses et leur retentissement que tous ceux que j’ai connus. J’ai dû hériter ça de lui.
Le visage sur la boîte était, m’avait appris Paul, celui de Jésus-Christ. On s’en servait pour promouvoir un tas de produits.


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Je me rappelle m’être défoncé à la mescaline et au gin pendant la réception suivant la remise du prix et avoir essayé d’expliquer à une actrice aux seins nus assiste à côté de moi sur un divan que les seuls critères de l’industrie de la télévision étaient d’ordre financier et que le seul objectif de la télévision était de faire de l’argent. Elle a souri pendant tout le temps où j’ai parlé, se caressant parfois les seins du bout des doigts. Et quand j’ai eu fini, elle a dit : « Mais l’argent aussi est un épanouissement. »
Je l’ai fait boire et je l’ai amenée dans un motel. Je me sens, à écrire un livre, comme un talmudiste ou un égyptologue échoué à Dysneyland au vingtième siècle.


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Si j’ai bien compris, Jésus prétendait être le fils de Dieu, celui-là même qui est censé avoir créé les cieux et la terre. Ça me laisse perplexe et me donne à penser que Jésus n’était peut-être pas tout à fait digne de confiance. Il semble pourtant avoir su des choses que les autres ignoraient en tout cas et il n’était pas insignifiant comme ces personnages d’Autant en emporte le vent, ni dévoré d’une ambition dévastatrice comme les présidents américains.
Jésus-Christ était sans conteste ce qu’on appelait un « grand homme ». Et je ne suis pas certain d’aimer cette notion. Les « grand hommes » me mettent mal à l’aise. Et les « grand hommes » ont souvent mis l’humanité à feu et à sang.


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Bob, fis-je. Tu devrais mémoriser ta vie, comme je suis en train de le faire. Tu devrais raconter ton histoire sur un enregistreur, et moi je la mettrais par écrit et je t’apprendrais à la lire.
Il reporta son regard sur moi. Son visage, à présent, semblait très vieux et très triste.
Ce n’est pas nécessaire, Mary. Je ne peux pas oublier ma vie. Je n’ai aucun moyen de le faire. Personne n’a pensé à me doter de la faculté d’oublier.
Mon Dieu, fis-je. Ça doit être terrible.
Oui, acquiesça-t-il. C’est terrible.


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C’est ainsi que finit le monde,
C’est ainsi que finit le monde,
C’est ainsi que finit le monde,
Pas sur une explosion, mais sur un gémissement.


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J’avais souvent, par le passé, regardé la télévision de cette manière, mais je m’étais aperçu que maintenant je ne pouvais plus le faire sans penser. « Abandonnez-vous à l’écran », nous avait-on enseigné. C’était une règle aussi fondamentale que « Pas de questions, relax ». Mais je ne pouvais plus m’y abandonner. Je ne voulais plus imposer le silence à mon esprit, ni l’utiliser comme un simple catalyseur de plaisir. Je voulais lire, je voulais penser et je voulais parler.


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Dans ces moments-là, je suis toujours très étonnée par le caractère humain de Bob. Quand il est ainsi, seul avec moi, son visage parvient à exprimer plus d’émotions que celui de Paul ou même celui de Simon, et sa vois est parfois si grave, si triste, qu’elle me donne envie de pleurer. Comme il est singulier qu’un robot puisse être le dépositaire de tant d’amour et de mélancolie, ces sentiments si forts dont l’humanité s’est débarrassée.


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Je suis programmé pour vivre aussi longtemps qu’il y aura des êtres humains à servir. Je ne pourrai mourir que lorsque le dernier d’entre vous aura disparu. Vous… (et soudain sa voix sembla exploser) Vous, l’Homo Sapiens, avec votre télévision et vos drogues !

READ DURING WEEK 12/06

LE-PELERINAGE-ENCHANTE

Clifford D. SIMAK

Edition Originale: Enchanted Pilgrimage, 1975
Denoel, Presence du futur, 1977

Extractions

Il me semble parfois que certains exploits sont surtout glorieux rétrospectivement. Une simple boucherie se transforme on ne sait comment en combat chevaleresque, quand on l'évoque.


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Une lance, la pointe fichée dans le sol, se dressait, nette, comme un point d'exclamation ivre.


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La science est philosophie, et rien de plus. Elle consiste à mettre de l'ordre dans l'univers, à essayer de lui trouver un sens. Vous ne pouvez accomplir les choses dont vous parlez avec la seule philosophie, vous utilisez donc la magie.


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Il affirme être un lâche. Mais il y a de grandes vertus dans la lâcheté. La bravoure est une maladie souvent fatale. C'est le genre de qualité qui vous fait tuer.


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En chaque femme se cache une catin qui se réveille au contact d'une main - celle de l'homme qui lui plaît.


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Je ne suis pas de cette planête et mes valeurs ne sont pas entièrement pareilles aux vôtres. Si même elles coïncidaient, je n'aurais pas la présomption de vous juger, car je connais depuis une éternité la grande diversité des esprits.


READ DURING WEEK 11/06

PORTRAIT-DE-L'ARTISTE-EN-JEUNE-FOU

Philip K. DICK


Edition Originale: Confessions of a Crap Artist, 1975
Editions 10/18, Domaine Etranger, 1982

Extractions

Au cours d'une conversation, en 1974, Dick me disait: "A vrai dire, je n'ai jamais très bien compris l'idée d'un protagoniste unique... Pour moi, les problèmes sont multipersonnels, ils nous concernent tous; un problème strictement personnel, ça n'existe pas... C'est seulement une forme d'ignorance, quand je me réveille le matin, que je trébuche contre un fauteuil et me casse le nez, que je suis fauché et que ma femme m'a quitté - C'est mon ignorance qui me fait penser que je suis l'univers tout entier et que ces misères me sont propres et n'affectent en rien le reste du monde. Si je pouvais le contempler du haut d'un satellite, ce monde, je verrais, dans s totalité, chaque être humain en train de se lever et, d'une façon plus ou moins analogue, de trébucher contre un fauteuil et de se casser quelque chose."


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Je suis composé d'eau. Personne ne peut s'en apercevoir, parce qu'elle est contenue à l'intérieur. Mes amis sont composés d'eau eux aussi. Tous autant qu'ils sont. Notre problème, c'est que nous devons non seulement circuler sans être absorbés par le sol, mais également gagner notre vie.


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Quand j'ai fini de resculpter un pneu, il n'a absolument pas l'air d'avoir été fait à la main. Il est rigoureusement semblable à un pneu sculpté par la machine, et pour un resculpteur, c'est le sentiment le plus satisfaisant du monde.


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-Est-ce qu-on peut attraper des maladies vénériennes en touchant des lampadaires ou des boîtes aux lettres? me demanda Charley.
-On peut, si on a l'esprit à ça, répliquai-je.


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Lorsque je lui demandai pourquoi il disait ça, il répondit qu'il savait foutre bien que Jack n'était pas forcé de se conduire de cette façon; s'il le faisait, c'est qu'il le voulait bien. Pour moi, ce subtil distinguo n'avait aucun sens, mais Charley accordait toujours beaucoup d'importance à ce genre de choses.


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Jusqu'alors, il avait paru incapable d'imaginer la guerre comme un événement réel, ni même le monde dans lequel se déroulait la guerre. Il n'avait jamais pu faire la différence entre ce qu'il lisait et ses expériences vécues.


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Entre le bon sens et l'absurde, il préférait l'absurde. Il pouvait très bien faire la différence - mais son goût le portait vers les inepties; il s'en bourrait de façon systématique. Comme un quelconque abruti du Moyen Age apprenant par coeur toute l'absurde théorie de saint Thomas d'Aquin sur l'univers.


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Un enfant est un animal crasseux et amoral, sans instinct ni bon sens, qui souille son propre nid dès qu'il en a l'occasion.


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Ex-membre d’une association d’étudiantes, épouse d’un homme fortuné, vient s’installer à Marin County, crée un groupe de danse moderne. La culture à la portée des paysans et des vaches.


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J’étais désolée de les voir partir, mais en même temps, cette rencontre entre eux et nous m’avait, en fin de compte, déçue. Il n’en était rien sorti d’important ; Dieu seul sait d’ailleurs que je ne savais pas ce que j’en avais attendu.


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Elle me foudroyait du regard, avec cette expression mi réelle mi-feinte, que je connaissais si bien ; elle avait une telle façon de mélanger une affirmation sérieuse et l’ironie qu’on ne pouvait jamais savoir si elle parlait sérieusement.


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Au bout d’un certain temps, elle réussit à le convaincre que quelque chose clochait chez lui s’il éprouvait le besoin d’aller se soûler la gueule et de lui cogner dessus quand il rentrait à la maison ; au lieu d’y voir un simple moyen d’ouvrir la soupape ; elle parut considérer ce comportement comme le symptôme d’un vice profond chez lui, et même dangereux.


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En bonne cloche qu’il était, Charley rouspétait parce qu’elle allait chez le docteur et en même temps prenait pour parole d’évangile tout ce qu’elle lui répétait de ses séances. Un type qui se faisait payer vingt dollars l’heure était forcément qualifié.


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Il avait envers elle la même attitude qu’envers un livre ou un journal ; il pouvait éventuellement renâcler et protester, mais en fin de compte, ce que le livre ou le journal disait était vrai. Il n’avait aucune confiance en ses propres idées. Comme tous les autres, il se reconnaissait lui aussi comme une cloche de première catégorie.


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Quand il reprit conscience, il était couché dans un grand lit, le visage et le corps rasés. Ses mains, ses doigts sur les draps, ressemblaient aux doigts roses d’un cochon. Je suis devenu un cochon, pensa-t-il. Ils m’ont enlevé tous mes poils et ont frisé ce qui restait ; ça fait longtemps que je pousse des grognements.


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Quand elle n’aime pas faire quelque chose, elle ne le fait pas. Elle trouve quelqu’un d’autre pour s’en charger. Je ne l’ai jamais vue faire quelque chose qui lui déplaisait. C’est ça, sa philosophie. Vous devez bien le savoir ; vous discutez toujours philosophie avec elle.


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Le Christ venait d’une autre planète. D’une race plus évoluée. La terre est la planète la plus arriérée de l’univers.


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Mme Mayberry entreprit alors de me donner des détails. Elle les avait eus indirectement, mais paraissait les croire exacts. En fait, elle les tenait de la femme du jeune pasteur vivant à Point Reyes Station. Ceux du groupe des soucoupes volantes étaient de toute évidence persuadés qu’ils allaient être arrachés à la Terre et embarqués pour le cosmos juste avant la catastrophe. Jamais de ma vie je n’avais entendu de pareilles conneries, jamais.


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Glissant le canon du revolver dans sa bouche, il pressa la détente.
Une lumière jaillit. Et non pas un son. Il vit, pour la première fois. Il vit tout. Il vit comment elle l’avait manœuvré. Comment elle l’avait amené là.
Je vois, dit-il.
Oui, je vois.
En mourant, il comprit tout.


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Je n’assistais pas à la cérémonie, parce que le corps est le tombeau de l’âme, comme l’a dit Pythagore, et qu’en naissant, un être a déjà commencé à mourir.


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La déraison du commun des hommes met la science en échec. Les états d’âme de la masse sont insondables ; c’est un fait.


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Si vous suiviez un traitement psychiatrique, vous auriez beaucoup moins de problèmes. Voyons les choses en face. Il avait emprunté cette formule « voyons les choses en face » à ma sœur. C’est intéressant de voir l’influence que peut exercer sur quelqu’un le vocabulaire d’une autre personne. Tous ceux qui ont eu affaire à elle finissent par dire ça ainsi que, « de toute mon existence », et « Seigneur Dieu ». Sans parler de ses expressions véritablement ordurières.


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D’après la Bible, quand viendra la fin du monde les morts se lèveront de leurs tombes au son de la dernière trompette. En fait, c’est une des façons de savoir que la fin du monde arrive, quand les morts se lèvent de leurs tombes.


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Non seulement Charley Hume n’était pas revenu à la vie, mais la fin du monde ne s’était pas produite, et je me rendis compte de Carley, il y avait bien longtemps, avait eu raison à mon sujet, en affirmant que j’étais le roi des cons. Tous les faits que j’avais enregistrés étaient de la connerie pure et simple.


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Donc, à mon avis, je ne devrais pas être la seule personne accusée de croire à des notions manifestement ridicules. Tout ce que je veux, c’est que le blâme soir réparti de façon équitable. Pendant une journée et quelques, j’ai envisagé d’écrire aux journaux de San Rafael et de leur raconter l’histoire sous forme de lettre au directeur. Après tout, ils sont obligés de la publier. C’est leur devoir en tant que service public. Mais en fin de compte, j’ai changé d’avis. Au diable les journaux. Personne ne lit les lettres au directeur, sauf d’autres dingues. En fait, le monde entier est peuplé de dingues. De quoi vous saper complètement le moral.

READ DURING WEEK 11/06

LA-VILLE-DU-GOUFFRE

Sir Arthur CONAN DOYLE

Edition Originale: The Maracot Deep
Editions Rencontre, 1970

Extractions

Les naïfs complets qui croient à tout sont aussi rares que les rationalistes rigoureux qui ne croient en rien. L’homme normal a, à la fois, besoin de raison et besoin d’évasion. Le grand psychologue suisse C.G. Jung appelait le fantastique : « les vitamines de l’âme ».

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Si la création a eu pour objet l’homme et sa reproduction, il est incompréhensible que l’Océan soit tellement plus peuplé que la terre.

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D’une génération à l’autre, la race s’avilissait. Nous avons vu surgir les symboles d’une dissipation voluptueuse, d’une débauche latente, d’une dégénérescence morale, d’un progrès de la matière au détriment de l’esprit. Des jeux de brutes remplaçaient les exercices virils d’autrefois. La vie de famille n’existait plus ; la culture spirituelle et intellectuelle était abandonnée. Nous avons eu devant les yeux l’image d’un peuple incapable de rester en repos et frivole, passant sans cesse d’un but à un autre, courant constamment à la conquête du bonheur et le manquant non moins constamment, mais en s’imaginant toujours qu’il pourrait le trouver dans des manifestations plus compliquées et anormales.

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Tout se passe comme si, à partir d’un certain point, il devenait impossible d’aller plus loin. La patience de la nature est épuisée, et il ne reste qu’une solution : tout démolir et tout recommencer.


READ DURING WEEK 10/06


SIXIEME-COLONNE

Robert HEINLEIN

Edition Originale: Sixth Column, 1951
Editions Hachette

Extractions

Un service d’espionnage militaire ridiculement insuffisant, telle avait été, à travers les âges, la principale caractéristique des Etats-Unis qui constituaient la plus puissante nation du globe, mais s’étaient aventurés dans les guerres comme un géant aveugle.

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Au fond de lui-même, Ardmore sentait que c’était du temps perdu, que tout cela ne rimait à rien, mais l’agent de publicité qu’il avait été comprenait intuitivement que l’homme est une créature vivant de symboles. Pour l’instant, ces symboles de gouvernement avaient toute leur importance.

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Les esclaves n’ont besoin que de trois choses : de la nourriture, du travail et un dieu. Des trois, leurs dieux sont la seule chose à laquelle il ne faut absolument pas toucher, si l’on veut que les esclaves demeurent soumis. Ainsi était-il dit dans les Principes de Gouvernement.

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Un honnête politicien est celui qui, ayant été acheté, demeure acheté.

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Les vaincus ont besoin d’un mur des lamentations ; ils vont dans leurs temples prier leurs dieux de les délivrer de l’oppression et quand ils en ressortent, détendus et réconfortés, ils partent travailler avec une ardeur nouvelle dans les champs et les usines.

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Ce n’est pas le moment d’avoir les foies, repartit Ardmore avec une intonation métallique. C’est la guerre,… et la guerre n’est pas une plaisanterie. Une guerre humanitaire, ça n’existe pas.


READ DURING WEEK 09/06


Friday, March 24, 2006

MON-ROYAUME-POUR-UN-MOUCHOIR

Philip K. DICK

Edition originale: Puttering About in a Small Land
Editions 10/18, Domaine Etranger, 1993


Extractions

Certaines expériences sont opposées à la vie quotidienne ; elles sont condamnées à errer dans la nuit avant que l’humanité les reconnaisse ou bien les écarte comme relevant uniquement du domaine de l’imagination.

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Son humeur était à l’optimisme, mais Virginia, elle se déroba. Aussitôt qu’elle l’eut reconnu, elle se sentit tourmentée par l’un de ces pressentiments où la raison n’a rien à faire et qui trouvent leurs racines dans l’expérience de l’enfance et la poisse.

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Tu ne vas pas être d’accord, dit Virginia, mais je pense que la guerre est une bonne chose en raison des changements qu’elle apporte. Quand tout cela sera fini, le monde sera tellement meilleur qu’il nous dédommagera de la guerre.

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Il a sauté de l’arrière du camion, ce vieux dépotoir dans la cour, et il s’est planté sur un morceau de métal recourbé qui lui a sectionné le gros orteil, ou c’est tout comme. Nous avons trouvé cela comique ; je me revois, m’éclipsant, en train de rire, la main sur la bouche. Et puis, il a attrapé le tétanos. Et il est mort.

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Pourtant, en fait, il avait semblé content, cet homme, dans sa petite boutique morose. « Oui, mais il n’avait qu’une allure d’employé, pâle et douce. Une sorte d’asexué, chantonnant pour lui-même et souriant aux clients. Misérable, cette façon de vivre.

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Une vision d’ensemble s’imposa à lui. Des escrocs, des filous de toute espèce. Il les apercevait, dans les immeubles de bureaux, et il voyait fonctionner l’activité d’abus de confiance, ses roues, sa machinerie. Bureaux de prêt, banques, médecins, dentistes, guérisseurs et charlatans s’abattant comme rapaces sur les vieilles dames, Pachucs brisant les vitrines de magasins ; équipements défectueux, nourriture pleine d’immondices et d’impuretés, chaussures de carton, chapeaux fondant sous la pluie, vêtements qui rétrécissent et se déchirent, voitures qu bloc moteur fendu, sièges de toilettes porteurs de germes, chiens qui sèment dans la ville la gale et la rage, restaurants qui servent des aliments avariés ; propriétés immobilières submergées, stocks bidon détenus par des sociétés inexistantes, magazines de photos obscènes, animaux abattus de sang-froid, lait contaminé par des mouches crevées, punaises, excrétions et vermines, détritus et ordures, pluie d’immondices dans le rues, sur les buildings, magasins et maisons.

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Ils avaient le même air grave que leur père, sa façon de transformer n’importe quoi en une action d’importance.

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Au magasin, le samedi était généralement le jour le plus chargé. Au comptoir, Roger sombra dans une sorte de somnambulisme ; il laissa ce samedi-là se fondre dans ceux du passé et dans ceux de l’avenir.

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Le sérieux et le silence qui caractérisaient Chic rappelaient à Virginia l’activité des mammifères capables de prévoir et qui s’en vont ramasser de provisions pour l’hiver. Il passait les choses en revue, et avec 10 ans d’avance il voyait ce qu’il en adviendrait. Le présent ne l’impressionnait pas.

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Le sujet ne paraissait pas éveiller en lui un sentiment profond, celui de l’excitation attachée aux fusions de société et à leur expansion. « Quelle vision étroite, songeait Virginia : du bricolage dans un mouchoir de poche. Il est heureux quand il a fabriqué un téléviseur dans sa matinée, un autre dans son après-midi. Et puis, la sonnerie du téléphone… Il trône dans un royaume tellement insignifiant. »

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« Des mots. Ses mots… Les mots de n’importe qui. Complètement vides, prémédités. » Tout comme s’il écoutait un édit de quelque conseil, lu pour lui à voix haute. Un groupe d’individus à l’esprit libre, enfilant des phrases à n’en plus finir, puis se les récitant, de l’un à l’autre, d’une vois froide. Pour finir, ils l’avaient envoyée, elle, les lui déclamer : elle n’était qu’une préposée.

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Le monde nous tourmente, et nous réagissons en nous tourmentant nous-mêmes. Je m’étonne que nous puissions avoir de nous une opinion assez mauvaise pour nous associer à cet état d’esprit. Nous sommes d’accord vous et moi, je suppose, pour admettre que ce jugement porté sur nous est justifié. Nous ne méritons pas le bonheur, et quand il nous en arrive une miette nous sentons que nous avons volé quelque chose qui ne nous appartient pas.

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Les gens disent, et on les entend dire, que chaque individu possède bien des qualités, mais moi je n’entre pas dans ce système, parce qu’à mes yeux c’est une chose terrible de prendre ainsi le rôle d’un juge, d’établir un modèle, de prononcer des jugements, comme si on était en situation de décider ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. C’est à chacun qu’il appartient de déterminer la meilleure voie, et ceux qui l’aiment le laissent libre d’agir ainsi lorsqu’ils ont vraiment du respect pour lui. Je sais bien que ceux qui ont de la religion ne sentent pas cette situation comme moi, mais je le regrette. Les êtres humains ont plus d’importance que les théories morales.


READ DURING WEEK 08/06