Tuesday, June 13, 2006

FIASCO

Stanislas Lem


Edition originale : Fiasco, 1986
Editions Calman-Levy, 1988

Extractions

On a allongé le trajet sans connaître les limites de la zone dangereuse. On y a envoyé des géologues, on aurait pu tout aussi bien y expédier des dentistes, eux aussi sont spécialistes en cavités.
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Les paysages qui habillent les planètes les plus proches du Soleil se caractérisent toujours par un aspect utilitaire ou sauvage. Ayant une stricte vocation utilitaire sur la Terre, chaque paysage est organisé dans un but précis. Les milliards d’années organiques ont abouti à l’apothéose de l’utile. Aussi les couleurs des fleurs attirent-elles les insectes et les nuages arrosent-ils les bois et les pâturages. Toutes formes et toutes choses s’expliquent par leur utilité.

Sur Titan, rien ne trouve jamais son utilité et la guillotine de l’évolution, amputant tout sauvageon de ce qui ne protège ni ne sert la lutte biologique, n’y fonctionne jamais. Aussi la nature n’y est-elle pas limitée par sa création de vie, pas même par ses actes de mort, elle peut prendre toutes les libertés, se livrer à tous les débordements, montrer sa puissance créatrice éternelle et sans but, sans nécessité, sans sens.

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L’homme n’a pas intérêt à connaître parfaitement sa structure corporelle et spirituelle, car il prend aussitôt conscience de ses limites. Et les prénoms n’entrent dans aucun système logique, ils sont purement conventionnels. Chacun répond à son nom, mais s’il en change, il reste toujours le même. Un hasard nommé « parents » décide des prénoms.

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Le bilan des calculs statistiques était clair dans sa totalité. La vie apparaît et dure des milliards d’années sur les planètes. Mais elle reste muette. Les civilisations naissent, non pour périr mais pour se métamorphoser. Vu la fréquence stable des naissances technogènes pour une simple galaxie spiralée, les civilisations apparaissent, mûrissent et disparaissent à une cadence similaire. Bien que les nouvelles naissances ne tardent pas, elles s’envolent du secteur d’entente, voire de la fenêtre de contact avant qu’on ne puisse échanger le moindre signal. L’impuissance des existences primitives est éloquente.

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A force de puissance, les opérations sidérales, phénomènes aux dimensions astronomiques, n’arrivent pas à impressionner l’observateur aussi profondément et terriblement que les déluges ou les typhons. Déjà, le tremblement de terre, événement submicroscopique à l’échelle stellaire, dépasse le pouvoir d’absorption de l’esprit humain. Toute manipulation ni trop gigantesque ni trop modeste suscite chez l’homme le sentiment d’une véritable épouvante et d’une extase étourdissante. Nul ne parvient à concevoir l’idée de l’étoile comme il peut le faire de la pierre ou du diamant.

Les mêmes principes rendent d’ailleurs impossible l’appréhension des spectacles grandioses qui marquent les âmes humaines. On peut plaindre le malheur des individus, de la famille, mais l’extermination de milliers ou de millions d’êtres n’est qu’une abstraction cachée par des chiffres, dont l’essence reste inconcevable.

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Ils étaient persuadés qu’à force de développer l’intelligence mécanique, celle-ci s’assimilerait à l’esprit humain pour le dépasser ensuite. Il avait fallu plus de cent ans pour que leurs successeurs se persuadent qu’il ne s’agissait là que d’une fiction anthropocentrique. Le cerveau humain est un esprit dans une machine qui n’en est pas une : inséparable du corps, le cerveau sert ce dernier et est servi par lui.

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Si une pieuvre avait des notions d’esthétique, la plus belle femme de la Terre serait monstrueuse pour elle.

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- Je vous conseille d’être, non pas prudent, mais humble. Je ne vous conseille pas non plus d’être méfiant. Je vous conseille l’humilité, je vous recommande d’être prêt à admettre que tout, absolument tout ce que vous verrez, sera radicalement différent de ce que l’on peut imaginer.


READ DURING WEEK 22&23/06

L-HOMME-TOMBE-DU-CIEL

Walter Tevis

Edition originale: The Man Who Fell to Earth, 1963
Editions Denoël, Présence du Futur, 1973


Extractions

Il se mit à spéculer sur le fait que les hommes des cavernes, qui buvaient dans leurs mains calleuses, auraient pu parfaitement bien se passer de toutes les découvertes complexes de l’industrie chimique – cette connaissance impie et sophistiquée de la structure moléculaire et des processus commerciaux – qu’il était lui, Nathan Bryce, payé pour approfondir et pour faire publier dans les journaux spécialisés.
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Il savait, depuis l’époque huit ans auparavant où sa femme était morte (dans un hôpital rutilant avec une tumeur de trois livres dans l’estomac) que certaines choses favorables devaient être dites sur le fait de boire dès le matin. Il avait découvert,, tout à fait par accident, qu’il pouvait être agréable, par un matin gris et triste – l’un de ses matins où le temps se traîne, où tout à couleur d’huitre – d’être doucement mais fermement ivre, et de savourer sa mélancolie. Encore fallait-il que l’opération fut menée avec une précision de chimiste. Beaucoup de désagréments pouvaient résulter d’une simple erreur. Il y avait des falaises innombrables desquelles on pouvait tomber et, lors de ces jours gris, l’apitoiement sur soi-même et le chagrin venaient vous grignoter comme des souris consciencieuses, au tournant de l’ivresse matinale.

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Soudain, en regardant à nouveau la pièce, ses murs gris et ses meubles vulgaires, il se sentit dégoûté, fatigué de cet endroit sordide et étranger, de cette culture bruyante, inarticulée, sensuelle sans racines, de cet agglomérat de primates habiles, susceptibles et égocentriques – grossiers et qui ne se rendaient même pas compte que leur pauvre civilisation était en train de s’écrouler comme le London Bridge de la chanson.

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Cette société américaine était tellement riche qu’elle pouvait subvenir aux besoins des huit ou dix millions de Betty Jo, leur assurer une sorte de luxe minable et citadin fait de gin et de meubles d’occasion, tandis que la masse des provinciaux bronzait ses joues saines dans des piscines de banlieue et suivait la dernière mode en matière de vêtements, d’éducation, de boissons exotiques et de conjoints, jouant à des jeux sans fin avec la religion, la psychanalyse et les « loisirs créatifs ».

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Il ressenti soudain une vague d’affection – était-il ivre lui aussi ? – pour cet homme maigre et solitaire. Newton était-il comme lui-même passé maître dans l’art de l’ivresse matinale et tranquille ? Cherchait-il… cherchait-il n’importe quelle occupation susceptible de donner à un homme sain dans un monde de fou une bonne raison pour ne pas être ivre dès le matin ? Ou n’était-ce là qu’une des aberrations bien connues du génie, une sorte d’abstraction sauvage et solitaire, l’aura d’une intelligence électronique ?

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La plupart des hommes mènent une vie de désespoir tranquille.

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Le vin était excellent, froid et parfumé dans sa gorge sèche. Il le réchauffa intérieurement et lui donna tout de suite cette pointe de plaisir délicieux et double – physique et mental – qui permettait à tant d’hommes de tenir bon, qui l’avait fait tenir lui-même pendant des années.

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Il but son café, qui était d’ailleurs en partie synthétique, et pensa à la vieille formule des biologistes selon laquelle le poulet était la meilleure façon qu’avait trouvé l’œuf de se reproduire.

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Il s’était mis à beaucoup aimer les chats. Ils avaient quelque chose qui lui rappelait Anthéa, même s’il n’existait là-bas aucun animal qui leur ressemblât. Les chats n’avaient pas non plus l’air d’être tout à fait chez eux sur terre.

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De même ces magazines populaires, d’un chauvinisme de plus en plus dément, plus engagés que jamais dans l’aberrant mensonge qui représentait l’Amérique comme une nation de petites villes craignant Dieu, de grandes cités efficaces, de fermiers en bonne santé, de médecins aimables, de ménagères placides et de milliardaires philanthropes.

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Elle semblait très à son aise, comme un vieux chien à l’humeur égale – que ni l’orgueil ni la philosophie n’aurait pu déranger.

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Sa voix était maintenant plus agitée, ses gestes plus nerveux. « Est-ce que vous vous rendez compte que vous n’allez pas seulement détruire votre civilisation, telle qu’elle est, et tuer la plupart des gens, mais que vous allez aussi empoisonner les poissons de vos rivières, les écureuils, les oiseaux, la terre elle-même, l’eau. Il y a des moments où vous nous apparaissez comme des singes en liberté dans un musée, en train de taillader les tableaux et de casser les statues avec des marteaux. »
Bryce resta un moment sans rien dire. Puis il murmura :
- Mais ce sont des êtres humains qui ont peint ces tableaux et sculpté ces statues.
- Seulement quelques-uns, dit Newton, seulement quelques-uns.

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Nathan. Nathan. J’avais peur de vous. J’ai encore peur. J’ai peur de tout, depuis que je suis sur cette planète, sur cette planète monstrueuse, magnifique et terrifiante, avec toutes ces étranges créatures et cette profusion d’eau et tous ces êtres humains. J’ai peur en ce moment. J’aurai peur quand je mourrai sur cette terre.
Il se tut et comme Bryce ne disait rien, il reprit :
Essayez d’imaginer, Nathan, six ans de votre vie parmi les singes, ou parmi les insectes. Six ans de votre vie parmi les fourmis luisantes, actives et sans cervelle.


READ DURING WEEK 21/06

LA-FOIRE-AUX-ATROCITES

J.G. Ballard

Edition originale: The Atrocity Exhibition
Editions Champs Libre, 1976



Extractions

Une piste mise hors-service sinuait dans l’herbe. En partie dérobés par l’éclat du soleil, les dessins de camouflage révélaient leurs contours à demi-familiers, parmi le mélange des tours et des blockhaus s’étendant alentour – le modèle d’un visage, d’une posture, d’un intervalle neural. Un événement unique allait se produire en ce lieu. Sans réfléchir, Travis murmura »Elizabeth Taylor ». Soudain, un bruit se fit entendre au-dessus des arbres.
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A cette époque, lorsqu’il asseyait à l’arrière de la Pontiac, Travis était préoccupé par la distance qui le séparait des manifestations de l’existence qu’il avait acceptée depuis longtemps. Sa femme ; les malades de l’hôpital (agents de la résistance au cours d’une Guerre Mondiale qu’il espérait bien parvenir à déclencher), sa liaison encore embryonnaire avec Catherine Austin – tout cela devenait aussi fragmentaire que les images d’Elizabeth Taylor et de Sigmund Freud sur les panneaux publicitaires, tout aussi irréel que la guerre du Vietnam recommencée par les producteurs de films. A mesure qu’il s’enfonçait dans sa psychose, découverte au cours de l’année passée à l’hôpital, il accueillait complaisamment ce voyage en terre familière dans des zones crépusculaires.

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Le mur de droite était vaste comme un court de tennis, cependant il ne contenait que l’image de l’œil droit et de la pommette. Il reconnut la femme des panneaux situés près de l’hôpital, cette vedette de cinéma nommée Elizabeth Taylor. Toutefois, ces dessins étaient bien davantage que de gigantesques répliques. C’étaient les équations incarnées des rapports fondamentaux existant entre l’identité de la vedette et les millions d’autres, réduplications d’elle-même, espace et temps de leurs propres corps et positions. Les trajectoires de leurs vies se rencontraient à angle aigu, mêlant des parcelles de mythologies personnelles aux divinités des cosmologies commerciales.

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Auto-Erotique. Alors qu’il se reposait dans la chambre de Catherine Austin, Talbot écoutait le sifflement des hélicoptères qui longeaient l’autoroute, venant de l’aéroport. Symboles d’une machine d’apocalypse, ils faisaient surgir des éléments du mobilier des bribes de mémoires inconnues, les figures d’émotions jamais dites. Son regard quitta la fenêtre. Catherine Austin était assise près de lui sur le lit. Son corps nu était disposé comme une étrange pièce à conviction, dont l’anatomie aurait résulté de la jonction d’une crevasse stérile et de monticules flasques. Il appliqua la paume de sa main contre l’aréole grisâtre de son sein gauche. Le paysage de béton aérien et souterrain révélait une présence encore plus forte, la géométrie d’un intervalle névrotique, une identité latente à l’intérieur de sa propre musculature.

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Mannequin Obscène. « Dois-je m’allonger près de toi ? » Ignorant sa question, Talbot scrutait ses larges hanches aux contours froids et privés de sensations. Déjà elle prenait l’allure d’un mannequin de caoutchouc, empli d’un gaz judicieusement réparti, obscène machine masturbatoire. En se levant, il aperçut le diaphragme dans son sac à main, cache-sexe inutile. Il écoutait les hélicoptères. Il lui sembla qu’ils excitaient une secrète zone d’atterrissage dans son cerveau. Sur le toit du garage se dressait la sculpture qu’il avait laborieusement construite au cours du mois passé ; antennes aériennes de métal supportant des visages de verre dirigés vers le soleil, clichés de radiographies volées au laboratoire et montrant des niveaux de maladie spinales en traitement. Toute la nuit il contempla le ciel, à l’écoute de la musique temporelle des quasars.

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Un Zoom de Soixante Minutes. Tout en déménageant d’appartement en appartement, le long de l’autoroute, Karen Novotny avait pleinement conscience de la continuelle dissociation des événements autour d’elle. Talbot la suivit à travers l’appartement, traçant des esquisses à la craie sur le sol autour de la chaise, autour des tasses et ustensiles sur la table du petit déjeuner tandis qu’elle buvait son café, et finalement autour d’elle-même : (1) assise dans la posture du Penseur de Rodin, sur le bord du bidet, (2) en pleine observation, sur le balcon, où elle attendait que Koester les rattrape, (3) faisant l’amour avec Talbot sur le lit. Il travaillait en silence à ses esquisses, modifiant de temps à autre la position des membres de Karen. Le bruit des hélicoptères était devenu incessant. Un matin, elle s’éveilla dans un silence total et s’aperçut que Talbot n’était plus là.

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Une question de Définition. Les tracés de plus ne plus nombreux couvraient les murs et le sol, frise de poses hiératiques et de danses priapiques – victimes des collisions, homme crucifié, enfants pendant rapport sexuel. Le contour d’un hélicoptère sinué sur la cendrée d’un court de tennis, tel le profil d’un ange.
Après Andy Warhol un simple geste, comme celui qui consiste à croiser ses jambes, aura plus de signification que le contenu de tout Guerre et paix. Au vingtième siècle, la crucifixion doit être envisagée comme un auto-désastre conceptuel.

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Lassitude de la Plage. Ayant gravi la pente de béton, il parvint au sommet du remblai. Le terrain s’étendait à perte de vue, de tous les côtés, troué à l’horizon de plusieurs derricks. Entre les sacs de sable et de ciments renversés, on apercevait de vieux pneus et des bouteilles de bière. Guam en 1947. Il s’éloigna de cet endroit, cherchant des tranchées de travaux et des fossés d’irrigation, près de la voie d’accès à une bretelle d’autoroute. Là, dans cette hutte terminale, il entreprit de mettre au point une sorte d’existence. A l’intérieur, il trouva une série de tests psychologiques. Quoique ne disposant d’aucun moyen de contrôle, ses réponses semblaient démontrer une identité. Il repartit explorer alentour et revint à la hutte avec quelques documents et une bouteille de Coca.

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Ce contre quoi le malade réagit c’est, tout simplement, la phénoménologie de l’univers, l’existence spécifique et indépendante d’objets et d’événements distincts, quand bien même ils semblent indifférents et inoffensifs. Une cuillère, par exemple, l’offense du seul fait qu’elle existe dans l’espace et dans le temps. Plus encore, on pourrait dire que la configuration précise – même si elle est due au hasard – des atomes de l’univers à un moment donné, et par conséquent unique, lui paraît absurde en raison même de son unicité… Le Dr. Nathan leva sa plume et regarda en direction de la cour de récréation. Traven était là, au soleil levant et abaissant bras et jambes, au fil d’une séquence intérieure qu’il répéta plusieurs fois (probablement une tentative de rendre le temps et la succession des événements insignifiants par réduplication ?).

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Il regardait Karen Novotny aller de pièce en pièce, établissant des rapports entre les mouvements de ses cuisses et de ses hanches avec l’architecture du sol et du plafond. Cette jeune femme aux extrémités décrispées était un module ; en la multipliant par l’espace et le temps de l’appartement, il obtiendrait une unité d’existence viable.

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Depuis maintenant quelques jours, elle était devenue consciente d’un processus croissant de désincarnation, comme si ses membres et ses muscles, ne servaient plus qu’à marquer le contexte résidentiel de son corps.

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Le Planétarium Mort. Sous un doux ciel d’équinoxe, la lumière du matin s’étalait uniment sur le béton blanc de la terrasse située devant l’entrée du planétarium. Tout près, des bassins de boue séchée figuraient l’image inversée du dôme abimé du planétarium et des seins érodés de Marylin Monroe. Presque totalement cachés par les dunes, les immeubles n’offraient aucun signe d’activité. Tallis attendait à la terrasse déserte du café, près de l’entrée, grattant avec une allumette les fientes de mouettes tombées par les interstices des tores déchirés sur les tables de métal bleu. Il se leva lorsque l’hélicoptère apparut dans le ciel.

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Anges en série. Tranquilles désormais, les émanations des astronautes morts se propageaient sur le terrain d’envol, retrouvant leurs identités dans les postures des jambes d’une centaine de starlettes, un millier de pare-chocs emboutis, les millions de morts en série des magazines à sensation.

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La légère pointe d’ironie qu’elle avait glissée dans sa voix ne l’irritait plus. Ils étaient désormais séparés par un immense no man’s land à travers lequel ce qui subsistait de leurs émotions émettait des signaux à l’instar de sémaphores sans code. Sa voix formait au plus un module aussi expressif que les perspectives du mur et du plafond aux lignes rigides comme le dessin d’un paquet de détergent. Elle s’assit sur le lit près de lui et déploya ses ongles humides en un geste d’une intimité plaisante. Il examinait la cicatrice transversale qu’elle portait au-dessus du nombril. Quel acte faudrait-il entre eux pour qu’ils parviennent à se joindre ?

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Pendant que Vaughan feuilletait les magazines, il écoutait les bavardages qui montaient d’en bas, les apartés ironiques de Koester et des femmes qui l’accompagnaient. Koester ressemblait à une bande d’actualités bidon.

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Ce que nos enfants ont à redouter ce n’est pas la circulation sur les autoroutes de demain, mais le plaisir que nous prenons à mettre au point les paramètres plus élégants de leurs morts.

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Même si l’on peut s’en consoler, il paraît probable que nos perversions familières vont bientôt disparaître, car leurs équivalents sont trop aisément perceptibles en termes d’angles de marches d’escaliers incongrus, dans l’érotisme mystérieux des ponts au-dessus des routes, ou dans les distorsions des gestes et des postures. Selon la logique de la mode, des perversions jadis populaires comme la pédophilie et la sodomie deviendront bien vite aussi dérisoires et courantes que les canards en faïence sur les cheminées des faubourgs.
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Le schéma de blessure optimum : dans le cadre du programme thérapeutique continu, les malades eurent à inventer un schéma de blessure optimum. Ils imaginèrent une grande variété de blessures. Les malades psychotiques montrèrent une préférence pour les blessures à la tête et au cou. Les étudiants et les personnels de station-service sélectionnèrent à un très gros pourcentage les blessures abdominales. En revanche, les ménagères de banlieues privilégièrent les blessures génitales à caractère obscène. Les schémas d’accidents qui concrétisèrent ces choix reflétaient une forme extrême d’obsession poly-perverse.
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Types de morts préférées. On soumit aux sujets divers types de morts et on leur demanda de choisir celles qu’ils redoutaient pour eux-mêmes et les membres de leurs familles. Le suicide et le meurtre apparurent comme les plus redoutés, suivis de la mort dans une catastrophe aérienne, par électrocution et noyade. La mort par accident d’automobile fut unanimement considérée comme la moins désagréable, en dépit des souffrances souvent longues avant le décès et des graves mutilations occasionnées.

READ DURING WEEK 19&20/06