Saturday, March 25, 2006

L'OISEAU-D'AMERIQUE

Walter TEVIS


Edition Originale: Mockingbird, 1980
Editions 10/18, Domaine Etranger, 1980

Extractions


« La vie intérieure de l’homme est un vaste royaume qui ne se contente pas de stimulations provoquées par des arrangements de couleurs et de formes » Edward Hopper


.......... .......... .......... ..........


Un certain nombre de caractères humains avaient été modifiés. C’était, ainsi que les ingénieurs généticiens se plaisaient à le dire, une amélioration de la création de Dieu. Et comme aucun de ces ingénieurs ne croyait en l’existence d’un Dieu quelconque, leur autosatisfaction n’était guère justifiée.


.......... .......... .......... ..........

- Ouais, l’androïde. Quand j’étais gosse, on appelait andros tous les mach…, tous les types comme toi. Vous n’étiez pas aussi nombreux à cette époque. Vous n’étiez pas aussi intelligents, non plus.
- Et ça te pose un problème que je sois intelligent ?
- Non, répondit Arthur. Bordel, non ! Les gens aujourd’hui sont tellement cons que ça file envie de chialer.


.......... .......... .......... ..........

Il venait de prendre conscience d’une réalité qui n’allait pas le quitter pour le reste de sa très longue existence : il ne désirait pas vraiment vivre. On l’avait trompé, horriblement trompé, en le privant d’une véritable existence humaine. Quelque chose en lui se rebellait contre l’obligation de vivre une vie qu’il n’avait pas voulue.


.......... .......... .......... ..........

Il y avait eu, devait-il découvrir, une centaine de Classe Neuf nés d’un clonage et dotés de copies du même cerveau humain original. Il était le dernier et des ajustements spéciaux avaient été pratiqués aux synapses de son cerveau métallique pour éviter ce qui était arrivé aux autres robots de la série : tous s’étaient suicidés.


.......... .......... .......... ..........

Regarder sans cesse autour de soi et réfléchir exige parfois un tel effort, devient parfois si déconcertant que je me demande si les Concepteurs n’en avaient pas conscience quand ils ont pratiquement interdit au citoyen ordinaire d’utiliser un enregistreur ou bien quand ils ont décidé qu’on nous inculque à tous, des notre plus jeune âge, ce principe de sagesse : »Dans le doute, n’y pense plus ».


.......... .......... .......... ..........

Les détecteurs ne détectent absolument plus rien, reprit-elle. Et peut-être ne l’ont-ils jamais fait. Ils n’ont pas besoin de le faire. Les gens sont tellement conditionnés depuis leur enfance que plus personne ne fait jamais plus rien.


.......... .......... .......... ..........

Je restais figé, ne sachant quoi faire ni quoi dire. Je ressentais quelque chose de comparable à ce que j’avais ressenti devant certains films : l’impression de me trouver face à de grandes vagues de sentiments éprouvés jadis par des gens aujourd’hui disparus et qui comprenaient des choses que je ne comprenais pas.


.......... .......... .......... ..........

La lecture est trop intime, dit Spofforth. Elle conduirait les humains à s’intéresser de trop près aux sentiments et aux idées des autres. Elle ne pourrait que vous troubler et vous embrouiller l’esprit.


.......... .......... .......... ..........

Quand j’étais petite, Simon me parlait de sujets comme le cycle de l’eau ou bien la précession des équinoxes. Il avait un vieux tableau noir et un bout de craie ; je me rappelle le dessin qu’il m’a fait de la planète Saturne avec ses anneaux. Lorsque je lui ai demandé comment il avait appris toutes ces choses, il m’a répondu qu’il les tenait de son père dont le propre père, quand il était jeune, observait le ciel nocturne dans un télescope céleste, il y avait de cela très longtemps, peu après ce que Simon appelait « la mort de la curiosité intellectuelle ».


.......... .......... .......... ..........

Simon me disait souvent quand j’étais petite que tout foutait le camp et que c’était temps mieux. « L’âge de la technologie s’est rouillé », disait-il. Eh bien, c’est devenu pire au cours des quarante jaunes qui ont suivi la mort de Simon.


.......... .......... .......... ..........

Je ne levai pas les yeux sur lui ; je continuai, d’un air endormi, à fixer le dessin aux couleurs vives sur le côté de la boîte de céréales. Il représentait le visage d’un homme, un visage censé inspirer la confiance. C’était un personnage dont presque personne ne connaissait le nom et qui souriait au-dessus d’un grand bol rempli de flocons de protéines synthétiques. La présence des céréales dans le dessin était, bien entendu, nécessaire pour que les gens puissent identifier le contenu de la boîte, mais je m’étais longtemps interrogée sur la signification de ce visage. Il faut bien admettre que Paul poussait toujours les gens à se poser des questions sur ce genre de sujet. Il faisait preuve de beaucoup plus de curiosité sur le sens des choses et leur retentissement que tous ceux que j’ai connus. J’ai dû hériter ça de lui.
Le visage sur la boîte était, m’avait appris Paul, celui de Jésus-Christ. On s’en servait pour promouvoir un tas de produits.


.......... .......... .......... ..........

Je me rappelle m’être défoncé à la mescaline et au gin pendant la réception suivant la remise du prix et avoir essayé d’expliquer à une actrice aux seins nus assiste à côté de moi sur un divan que les seuls critères de l’industrie de la télévision étaient d’ordre financier et que le seul objectif de la télévision était de faire de l’argent. Elle a souri pendant tout le temps où j’ai parlé, se caressant parfois les seins du bout des doigts. Et quand j’ai eu fini, elle a dit : « Mais l’argent aussi est un épanouissement. »
Je l’ai fait boire et je l’ai amenée dans un motel. Je me sens, à écrire un livre, comme un talmudiste ou un égyptologue échoué à Dysneyland au vingtième siècle.


.......... .......... .......... ..........

Si j’ai bien compris, Jésus prétendait être le fils de Dieu, celui-là même qui est censé avoir créé les cieux et la terre. Ça me laisse perplexe et me donne à penser que Jésus n’était peut-être pas tout à fait digne de confiance. Il semble pourtant avoir su des choses que les autres ignoraient en tout cas et il n’était pas insignifiant comme ces personnages d’Autant en emporte le vent, ni dévoré d’une ambition dévastatrice comme les présidents américains.
Jésus-Christ était sans conteste ce qu’on appelait un « grand homme ». Et je ne suis pas certain d’aimer cette notion. Les « grand hommes » me mettent mal à l’aise. Et les « grand hommes » ont souvent mis l’humanité à feu et à sang.


.......... .......... .......... ..........

Bob, fis-je. Tu devrais mémoriser ta vie, comme je suis en train de le faire. Tu devrais raconter ton histoire sur un enregistreur, et moi je la mettrais par écrit et je t’apprendrais à la lire.
Il reporta son regard sur moi. Son visage, à présent, semblait très vieux et très triste.
Ce n’est pas nécessaire, Mary. Je ne peux pas oublier ma vie. Je n’ai aucun moyen de le faire. Personne n’a pensé à me doter de la faculté d’oublier.
Mon Dieu, fis-je. Ça doit être terrible.
Oui, acquiesça-t-il. C’est terrible.


.......... .......... .......... ..........

C’est ainsi que finit le monde,
C’est ainsi que finit le monde,
C’est ainsi que finit le monde,
Pas sur une explosion, mais sur un gémissement.


.......... .......... .......... ..........

J’avais souvent, par le passé, regardé la télévision de cette manière, mais je m’étais aperçu que maintenant je ne pouvais plus le faire sans penser. « Abandonnez-vous à l’écran », nous avait-on enseigné. C’était une règle aussi fondamentale que « Pas de questions, relax ». Mais je ne pouvais plus m’y abandonner. Je ne voulais plus imposer le silence à mon esprit, ni l’utiliser comme un simple catalyseur de plaisir. Je voulais lire, je voulais penser et je voulais parler.


.......... .......... .......... ..........

Dans ces moments-là, je suis toujours très étonnée par le caractère humain de Bob. Quand il est ainsi, seul avec moi, son visage parvient à exprimer plus d’émotions que celui de Paul ou même celui de Simon, et sa vois est parfois si grave, si triste, qu’elle me donne envie de pleurer. Comme il est singulier qu’un robot puisse être le dépositaire de tant d’amour et de mélancolie, ces sentiments si forts dont l’humanité s’est débarrassée.


.......... .......... .......... ..........

Je suis programmé pour vivre aussi longtemps qu’il y aura des êtres humains à servir. Je ne pourrai mourir que lorsque le dernier d’entre vous aura disparu. Vous… (et soudain sa voix sembla exploser) Vous, l’Homo Sapiens, avec votre télévision et vos drogues !

READ DURING WEEK 12/06

2 comments:

Anonymous said...

Interesting site. Useful information. Bookmarked.
»

Anonymous said...

Hmm I love the idea behind this website, very unique.
»