Wednesday, February 08, 2006

ROBOT-BLUES

Philip K. DICK

Edition originale: Do Androids Dream of Electric Sheep?, 1968
Editions Champs Libre, 1976

Extraits

Des spéciaux n’arrêtaient pas de venir au monde, engendrés par des normaux grâce à cette foutue poussière. Comme le proclamaient les affiches, les spots publicitaires à la télé et le propagande de merde que le gouvernement envoyait à tout le monde par la piste : « Emigration ou détérioration ! Emigrez ou dégénérez, c’est à VOUS de choisir ! »

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Ainsi s’était effectuée l’immigration. L’androïde servait de carotte, les retombées radioactives de bâton. L’ONU avait rendu l’émigration facile et s’était ingéniée à rendre la vie difficile, sinon impossible, à ceux qui restaient. Traîner sur Terre, c’était s’exposer à la menace d’être un jour ou l’autre décrété biologiquement inacceptable, taré, dangereux pour la préservation de l’espèce. Une fois étiqueté « spécial », et quand bien même stérilisé, on sortait littéralement de l’Histoire. On cessait de faire partie de l’humanité.

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Il vivait seul dans le grand immeuble, aveugle et dégradé, avec ses mille appartements inoccupés, qui retournait peu à peu, comme tous ses semblables, à l’entropie, aux ruines… A la longue, l’immeuble tournerait en ratatouille indistincte, fatras sans nom empilé du plancher au plafond de chaque appartement, couches indifférenciés d’un pudding hétérogène et pourtant homogène. Ensuite, l’immeuble lui-même perdrait peu à peu sa forme, rejoignant dans son ubiquité triomphante la cendre et la poussière.

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De toute évidence, l’empathie appartenait en propre à l’esprit humain, alors que l’intelligence se retrouvait, avec des différences de degré, à tous les échelons de l’évolution, jusque chez les arachnides. D’abord la faculté empathique ne pouvait appartenir qu’à un animal social. Un organisme solitaire, comme celui de l’araignée, n’en avait aucun besoin. Bien au contraire, l’empathie amoindrirait probablement les chances de survie de l’araignée qui en serait dotée. Elle deviendrait consciente du désir de vitre de sa proie. Avec une telle faculté, tous les prédateurs, y compris les mammifères les plus évolués, les félins, crèveraient de faim.

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Il songea encore au besoin qu’il éprouvait de posséder un animal vivant, à la véritable haine qu’il commençait à ressentir pour son mouton électrique qu’il entourait d’autant de soins que s’il avait été vivant. « Comme les objets sont tyranniques, pensa-t-il. Ce truc ne sait même pas que j’existe. Comme les androïdes, il est incapable de se rendre compte de l’existence des autres. »

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La bistouille, c’est tous les objets qui ne servent à rien, les fouillis, les trucs inutiles, le courrier publicitaire, les boîtes d’allumettes vides, les papiers de chewing-gum et les journaux de la veille. Quand il n’y a personne, la bistouille se reproduit. Tenez, si vous allez vous coucher en laissant de la bistouille traîner chez vous, le lendemain matin, vous en trouvez le double. Ça n’arrête pas de croître.

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Le ramassage des ordures était devenu une des premières industries terriennes. La planète tout entière se transformait peu à peu en dépotoir et pour qu’elle continue d’être habitable par la population restante, il fallait, de temps en temps, faire disparaître une certaine quantité de débris de toute sorte. Sinon… comme aimait à le dire l’Ami Buster, la Terre ne disparaîtrait pas sous les retombées radioactives, mais sous les ordures ménagères…

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- Le test que vous voulez me faire passer…
Sa voix commençait à revenir.
- …vous l’avez passé, vous ?
- Oui, acquiesça-t-il, il y a longtemps, très longtemps, quand je suis rentré dans la maison.
- C’est peut-être un faux souvenir. Les androïdes ont souvent de faux souvenirs.

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« Il faut que je lui dise, songea Rick. C’est immoral et cruel de ne pas le faire. Monsieur Resch, vous êtes un androïde, dit-il en lui même. Vous m’avez sorti d’ici et voici votre récompense ; vous êtes tout ce que l’un comme l’autre nous exécrons. L’essence de ce que nous nous consacrons à détruire. »

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- On te demandera de faire le mal où que tu ailles. C’est le fondement de la vie : avoir à violer sa propre identité. Chaque créature vivante y est amenée un jour. C’est l’ombre ultime, la défaite de la création ; c’est l’ouvrage de la fatalité ; la fatalité qui se nourrit de la vie. Partout dans l’univers.

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« Pharmacien sur Mars », lut-il sur la fiche de renseignements. C’était, du moins, la couverture choisie par l’Andro. Mais c’était probablement un manuel, un ouvrier agricole rongé d’ambitions. Les androïdes rêveraient-ils ? se demanda Rick. Bien sûr, puisqu’il leur arrive de tuer leur patron pour s’enfuir vers la Terre. Vers une vie meilleure, sans servitude.

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Elle sourit avec une légèreté qui tranchait bizarrement sur ses propos. Rick était incapable de dire si elle était sérieuse. L’importance, la gravité du sujet qu’elle abordait ne l’empêchait pas de parler sur un ton badin. « Peut-être se comporte-t-elle tout simplement comme une androïde, songea-t-il. Aucune émotion réelle, aucun sens de la signification réelle de son discours. Rien qu’une compréhension purement intellectuelle, abstraite, une réduction atomiste du monde à un ensemble de constituants sans lien les uns avec les autres… »

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En apparence, elle avait recouvré un semblant de dignité. Mais sous la surface, elle restait aussi tendue et frénétique. Cette flamme même finit par vaciller ; l’élan vital s’échappait d’elle par tous les pores de sa peau, comme ça arrivait si souvent à des androïdes. Une résignation classique. L’acceptation intellectuelle, quasi mécanique, de ce à quoi un véritable être vivant, avec deux milliards d’années de lutte pour la vie inscrites dans ses gènes, ne se serait jamais résigné.


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1 comment:

Anonymous said...

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