Sunday, November 27, 2005

MANQUE-DE-POT

Philip K. Dick

Edition originale: The Galatic pot-healer, 1969
Editions Champs-libre, Chute Libre
, 1977

Extraits

« Joe se retourna pour se ruer vers la porte du poste de police. Vers la foule, compacte et anonyme. Pour s’y enterrer, ou cesser de s’individualiser. »

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« - J’ai manqué vos propos philosophiques.
- Je disais, répéta Joe, qu’un même phénomène peut être cerné différemment selon le mode de perception de l’être. Vous me connaissez, continua-t-il avec emphase, grâce à vos propres facultés d’analyse. Pour un autre système de perception, je peux apparaître tout à fait différent. Par exemple pour la police ! Autant de créatures pensantes, autant de systèmes d’analyse. »

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« Une nouvelle clinique de New-Jersey, spécialisée dans les soins aux personnes âgées, vient d’aménager une installation pour libérer les chambres rapidement et sans manipulation.
Quand un pensionnaire décède, les détecteurs électroniques placés dans le mur de la chambre enregistrent l’absence de battements de cœur et mettent instantanément leurs circuits en action. Le cadavre est saisi par des pinces automatiques, amené à l’intérieur du mur de la chambre et les restes sont incinérés sur place dans un four crématoire. Ce nouveau procédé permettra au pensionnaire en attente – toujours un vieillard – d’occuper la chambre pour midi.»

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« Comme c’est étrange, pensait Joe : un arachnéide chiniteux discute du Faust de Goethe avec un grand bivalve pseudopode. Et c’est un livre que je n’ai jamais lu, qui a été écrit par un être humain originaire de ma planète.
- La plus grande difficulté, continuait la pseudo-araignée, réside dans la traduction. L’ouvrage est écrit dans une langue morte.
- En allemand ! fit Joe qui savait au moins cela.
- J’ai fait ma propre traduction en langage terrien contemporain, appelé autrefois « Anglais ». Je vais vous lire la scène principale du second acte où Faust reste en contemplation devant l’œuvre dont il est satisfait. »

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« L’amour du prochain, je crois savoir ce que tu veux dire. Une fois il m’est arrivé une chose étrange sur Terre. Un évènement sans grande importance. De mon placard, je sortais une tasse que j’utilisais très rarement. Au fond il y avait une araignée morte de faim. Elle avait dû tomber au fond de la tasse sans pouvoir en ressortir. Mais voilà l’important : elle y avait tisser une toile, de son mieux. Quand je l’ai découverte là, morte au fond de la tasse avec sa toile rabougrie et inutile, j’ai pensé qu’elle n’avait pas eu de chance. Aucune mouche de pouvait venir se perdre là même en attendant très longtemps. Elle s’est appliquée jusqu’à sa mort à parfaire un ouvrage qui ne pouvait être que vain. Je me suis toujours demandé si l’araignée savait qu’il était inutile d’espérer et si elle a tissé sa toile en sachant qu’elle ne servirait à rien. »

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« Une citation vint à l’esprit de Joe : ‘Je dois partir, il est une tombe où les jonquilles et les lys ondulent au gré du vent.’
Le robot continua :
- « Et j’aime les petits animaux enterrés dans le sol endormi. » C’est un de mes poèmes préférés. Yeats, je crois. Pensez-vous, Monsieur, que vous descendez dans une tombe ? Que vous allez à la rencontre de la mort ? Que plonger c’est mourir ? Répondez-moi en moins de vingt-cinq mots. »

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« - Comment êtes-vous mort ? demanda-t-elle au cadavre.
La mâchoire nue se contorsionnait dans l’eau pour articuler un son, une réponse :
- Glimmung nous a tué.
- Nous ? Combien ? Tous ?
- Nous… (Il tendit vers Joe un bras décomposé.). Nous deux.
Et il se tut. Le squelette dérivait lentement.
- J’ai fabriqué une boîte pour me protéger, avec une porte pour empêcher les poissons dangereux de pénétrer.
- Tu essayes de protéger ta vie ? questionna Joe, mais elle est terminée.
Les événements le dépassaient, il n’y comprenait plus rien. Tout était bizarre. La pensée d’un corps en décomposition – son propre cadavre – vivant une pseudo-existence avec le souci de se protéger…
- Un mort qui prend soin de sa personne ! »

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« -Vous savez ce que je pense de votre problème ? dit le gastéropode. Je crois que vous devriez créer un vase de toute pièce, plutôt que de réparer les vieux.
- Mais, dit Joe, mon père était réparateur de porcelaine avant moi.
- Voyez plutôt le succès de Glimmung. Faites comme lui. Dans son Entreprise, il a combattu et détruit le Livre des Kalends, en vainquant par là même la tyrannie du destin. Soyez créatif. Luttez contre la fatalité. Essayez.
- Essayer, dit Joe.

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Il plongea sa main protégée par un gant d’amiante dans le four et sortit le grand pot bleu et blanc. Son premier pot. Il l’amena jusqu’à une table, en pleine lumière, et le posa. Il estima d’un œil professionnel sa valeur artistique. Il jugeait son œuvre et, avec elle, tout ce qu’il ferait à l’avenir, et tous les pots qui sortiraient de ses mains par la suite. En un certain sens, il voyait dans ce vase la raison pour laquelle il avait quitté le Glimmung et les autres. Et Mali. Surtout Mali. Mali qu’il aimait.
Le pot était horrible. »


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1 comment:

Anonymous said...

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