Wednesday, October 26, 2005

L'HOMME-DONT-TOUTES-LES-DENTS..........

Philip K. Dick
L'homme dont toutes les dents étaient exactement semblables

Edition originale: The Man Whose Teeth Were All Exactly Alike, 1984
Editions Joëlle Losfeld, 2000

Extraits

« - Ça t’énerve, hein ? Ne te laisse pas démoraliser par ce qu’elle t’a dit. C’est une artiste peintre frustrée. Tu connais le genre. Les femmes au foyer qui n’ont rien à faire de la journée – elles finissent par s’ennuyer. (Puis, brusquement, il eut honte de dire du mal de sa femme.) Elle a un sacré talent quand même, murmura-t-il. J’aimerais que tu vois certaines de ses toiles. Elle a fait une exposition, une fois, dans une boîte de nuit de Sausalito. (Elle aurait vraiment pu faire carrière, pensa-t-il.) Mais elle a décidé de se marier, ajouta-t-il. Plutôt que de continuer à peindre. Comme beaucoup de femmes. »

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« Se redressant, Janet déclara :
- Phyllis Wilby ne lit rien d’autre que des journaux à scandales dan les salons de beauté. De nos jours, plus personne de lit de bons livres, sauf moi.
Pendant un moment, elle lui fit face d’un air de défi. Puis, peu à peu, elle se remit à débarrasser la table.
Lamentable, pensa Runcible. Pour elle, les inepties pornographiques que lui envoie son club, ce sont de « bons livres ». C’est vraiment le comble de la déchéance, de se vautrer au lit pour manger un artichaut en lisant des histoires de vieillards lubriques qui sautent des petites filles. Et c’est grâce à des femmes comme elles que ces clubs de livres font fortune. En leur donnant le moyen de prendre leur pied par procuration, grâce à la lecture. »

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« Ce n’est pas parce qu’on est ému par la nature, pensa-t-elle, qu’on est forcément un artiste. Cela prouve seulement qu’on est sentimental. »

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« Janet Runcible ne se sentait jamais aussi bien que lorsqu’elle prenait une cuite.
Car c’était le moment où elle savait ce que les gens allaient dire.
Il suffisait qu’ils ouvrent la bouche. Aussitôt, elle devinait la suite. Et cela l’enchantait. Elle captait leurs pensées en un éclair !
Et il ne s’agissait pas seulement de réflexions simplistes. Elle saisissait également les discussions les plus intellectuelles. Si, au cours d’une soirée, la conversation portait sur David Riesman, l’Allemagne de l’Ouest, ou la science, elle pouvait y prendre part ; elle lançait à son tour quelques embryons d’idées dans le débat, sans même avoir besoin, parfois, de les développer. Et les autres invités, à leur tour, comprenaient aussitôt ce qu’elle voulait dire. »

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« Ça coûte cher de dresser les gens contre vous, constata Runcible. Et pourtant, c’est le prix à payer pour avoir le droit de dire ce qu’on pense. »

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« Dans ma classe, les garçons achètent des boîtes de construction – des modèles réduits de bateaux ou d’avions – mais elles ne contiennent rien d’autre que des pièces préfabriquées. Il suffit de les assembler et de les coller ensemble. Autrefois, dans une boîte de construction, il n’y avait que du balsa et du papier japon – tout le travail restait à faire : découper les pièces, les façonner. On construisait réellement un modèle réduit à partir de quelques planchettes, de baguettes de bois. Aujourd’hui, le modèle est fait d’avance ; il ne reste qu’à l’assembler. »

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« Mais si j’avais reçu la même éducation que Sherry, pensa Janet, et si j’avais eu autant d’argent qu’elle… Cet argent que sa famille lui avait consacré, comme une sorte d’investissement.
Sherry est le produit d’une société riche, se dit Janet Runcible. Cette femme-là ne s’est pas faites elle-même ; elle n’est pas responsable de ce qu’elle est. Personne n’est responsable de ce qu’il est, d’ailleurs. Tout être humain n’est que le produit de la société dont il est issu. »

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« On peut arriver ici, pensa-t-il en enfilant une chemise propre, dans la peau d’un homme civilisé, cultivé, rompu aux bonnes manières, et bientôt, on se retrouve comme tout le monde assis sur un siège percé pour chier dans un tuyau, et on marche dans la bouse. Si on s’écorche la main sur un clou rouillé, on meurt, comme un vieux mouton, du tétanos ; on se tord de convulsions en galopant autour du champ. Dans cette région (il improvisait une sinistre parodie de son discours habituel aux futurs clients), on ne meurt pas d’artériosclérose ou de cancer de la gorge ; on se fait écraser par une moissonneuse, déchiqueter par une batteuse, on attrape des parasites pulmonaires. Ou encore – et c’était une crainte dont il n’arrivait pas à se débarrasser – votre chaudière à gaz expose, et vous projette en lambeaux sanguinolents aux quatre coins du pré dans lequel vous avez investi toutes vos économies. »

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« Dans un coin de sa mémoire, Runcible nota ce problème ; découvrir le prix de revient au mètre que Flores fait payer à Dombrosio.
Même moi, se dit-il, j’ai envie de savoir. Quand on vie petitement, on pense petitement.
Je me demande quel genre d’événement déclencherait chez eux des réflexions grandioses. En fait, je me demande à quoi ça ressemblerait, par ici ,des pensées élevées. »

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« - Je vais vous dire à quoi les Néanderthaliens ressemblaient vraiment, repris Freitas. Ce n’étaient pas des ogres qui inspiraient la terreur, mais plutôt des espèces de nabots timides… Dans mon esprit, le les compare à ces ouvriers d’usine, honteusement exploités, du dix-neuvième siècle anglais. Ou à des serfs du Moyen-Age. Incroyablement bornés, repoussés de toute part, mis à l’écart. Peut-être les laissait-on porter du bois. Construire un feu, dépecer les animaux, mâcher la peau des bêtes. Vous savez, c’est une idée qui m’est venue : si nos ancêtres avaient le temps de peindre de superbes taureaux sur les murs de leurs cavernes, c’est peut-être parce qu’ils avaient des esclaves. Comme celui-ci. (Freitas tapota le crâne.) Une race inférieure pour exécuter ces tâches ingrates à leur place, pour les libérer. »

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« - Cette université, c’est une énorme machine, poursuivit Runcible. Savez-vous ce qu’elle produit ? Pas du savoir. Pas des érudits. Des techniciens, qui espèrent bien toucher un gros salaire dans une grande compagnie, comme Westinghouse ou General Dynamics. Croyez-vous que ça les intéresse une seconde de savoir si une bande de bossus débiles se baladait en Amérique du Nord il y a cent millions d’années ? Est-ce que ça va changer quoi que ce soit à l’économie du pays ? C’est ça qui va nous fournir un combustible bon marché pour les paquebots, ou une nouvelles tête nucléaire pour un missile destiné à tomber sur la Russie soviétique ?
Wharton ne répondit pas.
- En revanche, reprit Runcible, si je leur avais envoyé une boîte de je ne sais quelle algue déshydratée, en leur demandant si elle était riche en protéines, et si on pouvait la faire pousser dans la baignoire de Monsieur Tout-Le-Monde, on aurait peut-être eu la politesse de me répondre convenablement, et de faire des recherches approfondies sur ma découverte. »

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« - Drôle de façon de passer les fêtes de Pâques.
- Comment ?
- Vous ne connaissez pas les dernières histoires drôles ?
Se levant, Runcible prit la pose du Christ sur la croix, les bras écartés, la tête penchée sur le côté.
- Drôle de façon de passer les fêtes de Pâques, répéta-t-il. Je vais vous en raconter une autre. (Se rasseyant, il enchaîna :) ça ne vous dérange pas de croiser les jambes ? On n’a que trois clous. »

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« Je vois, pensa t-il. Je vois comment fonctionne son raisonnement. Comment elle en tire profit. C’est extraordinaire. On peut faire tout ce qu’on veut avec les gens, avec les faits et les événements ; on peut les modifier, les remodeler, de la même façon que le plastique frais que j’utilise à l’atelier. On leur impose une forme, par des moyens très énergiques. »

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« Il entra dans la salle de bains, posa on verre sur le bord du lavabo, puis il se soulagea. C’est étrange, se dit-il, que plusieurs fois par jour, un homme soit obligé de déboutonner son pantalon, pour libérer un jet de liquide chargé de déchets organiques qui s’est accumulé en lui. Il faut le voir pour le croire. Après avoir refermé sa braguette, il se lava les mains, puis, toujours muni de son verre, quitta la pièce.
Peut-être l’homme ne représente-t-il rien de plus pour Dieu, pensa-t-il, que ce que représente pour moi ce liquide… ça n’a pas d’importance. »


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4 comments:

Anonymous said...

Ho ! Un fan de Dick !!
Cet ouvrage-là je ne le connais pas, mais je vais bien vite me mettre en chasse parce qu'il a l'air bien sympa. Merci pour cette découverte.

Anonymous said...

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Anonymous said...

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Anonymous said...

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