Wednesday, March 28, 2007

CE-QU'IL-RESTE


Pierre Sansot
Ce qu’il reste

2006, Editions Payot & Rivages
______
__________

___________________________________________Extractions__________


Les personnes bien intentionnées nous demandent de nous préparer à notre mort. Quelle extravagance : autant demander à un candidat de préparer un examen auquel de toute manière il ne se présentera pas puisque la pensée de la mort et l’expérience de la mort n’ont pas grand rapport.

__________

La partition de l’espace et du temps, elle apparaît dans les places de parking qu’il nous est possible d’occuper pour une durée déterminée tout comme un terrain de tennis qui nous est accordé pour une heure ou pour une heure de spectacle où nous avons le devoir de rire. Le reste n’a pas le droit d’exister puisque tout a été calculé à la juste mesure de nos besoins et quand il apparaît, des employés zélés le font disparaître de notre table à moins que dans un fast-food, nous ne l’engloutissions dans une poubelle disposée à cet usage. La rotation rapide, la mise hors service de l’inutile sont traquées.

__________

C’est pourquoi j’aimerais rapprocher ces deux conservatoires que sont les musées et les cimetières –lesquels ont une manière particulière de perpétuer notre mémoire. Le cimetière est par excellence une maison des songes. Nous y évoquons les ombres de nos chers disparus. Leurs traits s’estompent. Il nous faut par l’imagination leur donner un peu plus de couleur. Nous devons réinventer leur voix de moins en moins audible. Au contraire, dans un musée, les œuvres nous imposent impérieusement leur présence. Nous avons à les percevoir et non à les rêver. Elles ont le pouvoir de nous tirer de quelques pensées vagabondes, de quelques rêveries trop personnelles.

__________

Je ne décrie pas l’espèce humaine, je mets en cause son arrogance à l’égard des autres espèces.

__________

Certains hommes se refusent à entendre cette leçon. Ils admettent tout au plus qu’existe en nous une part bestiale qu’il convient de réprimer : elle serait à l’origine de nos actes de barbarie comme si l’homme n’était pas capable par lui-même de produire de l’inhumain.

__________

Tant que nous disposions de quelques références incontestables comme le Pouvoir, le Travail, il nous était possible de désigner les marginaux. Aujourd’hui, la plupart d’entre nous : paysans, chercheurs, étudiants, chômeurs, vieux, petits commerçants ont le sentiment d’être largués et d’être tenus à l’écart d’un centre (de décisions) par ailleurs introuvable.

__________

Comme l’écrivait un physicien célèbre : « La multitude ordonnée des galaxies m’émeut mais j’admire tout autant l’esprit humain qui fut capable de les appréhender. »

__________

Ce n’est pas pour autant réduire à néant la part de l’homme car si l’on en croit mes analyses, il faut que de son côté, l’homme soit un être sensible, capable de s’émouvoir, de s’oublier, pour admirer l’altérité. Un philosophe a écrit en souriant que sans la musique, l’homme serait une erreur de la nature.

__________

J’entrais en amitié avec un Paris populaire, du côté de Belleville, du bas de Montmartre, un Paris proche de la poésie de Jacques Prévert où les filles sont souriantes, où le patron offre parfois une tournée et où la patronne cuisine des plats aux petits oignons. Employés, dactylos, ouvriers plaisantent entre eux sans faire d’histoires. Au-dehors, des foules déambulent pacifiquement, se rassemblent, se dispersent, se disjoignent.

__________

Non plus la blancheur livide des glaces éternelles, mais le rien de l’existence, la pauvreté de notre misérable moi. Non plus l’aridité de certaines terres incertaines mais celle de paroles difficiles à entendre ou de psalmodies répétitives. Dans les deux expériences, nous nous murerons dans l’ineffable, incapables de dire correctement ce que nous avons traversé ici ou là, désireux de ne pas retourner aussi vite à l’existence quotidienne et à ses sunlights dérisoires.





READ DURING WEEK 09&10/07

No comments: