Friday, March 24, 2006

MON-ROYAUME-POUR-UN-MOUCHOIR

Philip K. DICK

Edition originale: Puttering About in a Small Land
Editions 10/18, Domaine Etranger, 1993


Extractions

Certaines expériences sont opposées à la vie quotidienne ; elles sont condamnées à errer dans la nuit avant que l’humanité les reconnaisse ou bien les écarte comme relevant uniquement du domaine de l’imagination.

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Son humeur était à l’optimisme, mais Virginia, elle se déroba. Aussitôt qu’elle l’eut reconnu, elle se sentit tourmentée par l’un de ces pressentiments où la raison n’a rien à faire et qui trouvent leurs racines dans l’expérience de l’enfance et la poisse.

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Tu ne vas pas être d’accord, dit Virginia, mais je pense que la guerre est une bonne chose en raison des changements qu’elle apporte. Quand tout cela sera fini, le monde sera tellement meilleur qu’il nous dédommagera de la guerre.

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Il a sauté de l’arrière du camion, ce vieux dépotoir dans la cour, et il s’est planté sur un morceau de métal recourbé qui lui a sectionné le gros orteil, ou c’est tout comme. Nous avons trouvé cela comique ; je me revois, m’éclipsant, en train de rire, la main sur la bouche. Et puis, il a attrapé le tétanos. Et il est mort.

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Pourtant, en fait, il avait semblé content, cet homme, dans sa petite boutique morose. « Oui, mais il n’avait qu’une allure d’employé, pâle et douce. Une sorte d’asexué, chantonnant pour lui-même et souriant aux clients. Misérable, cette façon de vivre.

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Une vision d’ensemble s’imposa à lui. Des escrocs, des filous de toute espèce. Il les apercevait, dans les immeubles de bureaux, et il voyait fonctionner l’activité d’abus de confiance, ses roues, sa machinerie. Bureaux de prêt, banques, médecins, dentistes, guérisseurs et charlatans s’abattant comme rapaces sur les vieilles dames, Pachucs brisant les vitrines de magasins ; équipements défectueux, nourriture pleine d’immondices et d’impuretés, chaussures de carton, chapeaux fondant sous la pluie, vêtements qui rétrécissent et se déchirent, voitures qu bloc moteur fendu, sièges de toilettes porteurs de germes, chiens qui sèment dans la ville la gale et la rage, restaurants qui servent des aliments avariés ; propriétés immobilières submergées, stocks bidon détenus par des sociétés inexistantes, magazines de photos obscènes, animaux abattus de sang-froid, lait contaminé par des mouches crevées, punaises, excrétions et vermines, détritus et ordures, pluie d’immondices dans le rues, sur les buildings, magasins et maisons.

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Ils avaient le même air grave que leur père, sa façon de transformer n’importe quoi en une action d’importance.

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Au magasin, le samedi était généralement le jour le plus chargé. Au comptoir, Roger sombra dans une sorte de somnambulisme ; il laissa ce samedi-là se fondre dans ceux du passé et dans ceux de l’avenir.

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Le sérieux et le silence qui caractérisaient Chic rappelaient à Virginia l’activité des mammifères capables de prévoir et qui s’en vont ramasser de provisions pour l’hiver. Il passait les choses en revue, et avec 10 ans d’avance il voyait ce qu’il en adviendrait. Le présent ne l’impressionnait pas.

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Le sujet ne paraissait pas éveiller en lui un sentiment profond, celui de l’excitation attachée aux fusions de société et à leur expansion. « Quelle vision étroite, songeait Virginia : du bricolage dans un mouchoir de poche. Il est heureux quand il a fabriqué un téléviseur dans sa matinée, un autre dans son après-midi. Et puis, la sonnerie du téléphone… Il trône dans un royaume tellement insignifiant. »

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« Des mots. Ses mots… Les mots de n’importe qui. Complètement vides, prémédités. » Tout comme s’il écoutait un édit de quelque conseil, lu pour lui à voix haute. Un groupe d’individus à l’esprit libre, enfilant des phrases à n’en plus finir, puis se les récitant, de l’un à l’autre, d’une vois froide. Pour finir, ils l’avaient envoyée, elle, les lui déclamer : elle n’était qu’une préposée.

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Le monde nous tourmente, et nous réagissons en nous tourmentant nous-mêmes. Je m’étonne que nous puissions avoir de nous une opinion assez mauvaise pour nous associer à cet état d’esprit. Nous sommes d’accord vous et moi, je suppose, pour admettre que ce jugement porté sur nous est justifié. Nous ne méritons pas le bonheur, et quand il nous en arrive une miette nous sentons que nous avons volé quelque chose qui ne nous appartient pas.

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Les gens disent, et on les entend dire, que chaque individu possède bien des qualités, mais moi je n’entre pas dans ce système, parce qu’à mes yeux c’est une chose terrible de prendre ainsi le rôle d’un juge, d’établir un modèle, de prononcer des jugements, comme si on était en situation de décider ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. C’est à chacun qu’il appartient de déterminer la meilleure voie, et ceux qui l’aiment le laissent libre d’agir ainsi lorsqu’ils ont vraiment du respect pour lui. Je sais bien que ceux qui ont de la religion ne sentent pas cette situation comme moi, mais je le regrette. Les êtres humains ont plus d’importance que les théories morales.


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