Sunday, September 18, 2005

INTERIEUR-NORD

Marcus Malte

Zulma, 2005

Extraits

« Ils marchent sur la ligne indivisible de l’horizon comme si c’était le dernier jour ou le tout premier jour de la création. Silhouettes grises. De frêles esquisses, de simples ébauches au fusain jetées sur un fond uniformément blanc. Il y a parmi eux, semble-t-il, des hommes, des femmes, des enfants, certains ne faisant qu’un avec leur monture, cheval ou mulet, voire créature d’une espèce jusque-là inimaginée tel le monstrueux résidu du croisement entre une autruche et un hippocampe. Il y a des chiens ou des loups allongeant démesurément le cou vers le sol gelé. Tous portent des haillons de givre. Bien peu de choses les distinguent si ce n’est que les hommes peut-être chantent ou prient sans bruit dans leur tête.
Ils avancent lentement. Maigre cohorte sans ordre apparent, sans hiérarchie, sans flambeau ni étendard. Soit qu’ils ont perdu tout cela en route, soit que tout leur reste à conquérir.
On ne sait pas ce qui les porte.
L’un d’entre eux parfois arrête ses pas et scrute les alentours, sourcils froncés comme s’il reniflait avec les yeux. Il n’y a rien. A perte de vue la surface de la terre se montre plane et nue ainsi que le ciel au-dessus et les deux s’absorbent et se reflètent en une unique et immense flaque de lumière pâle. A perte de vue. Celui-là se remet en branle. On ne sait pas ce qui les meut, on ne sait pas ce qu’ils recèlent en eux d’espérance ou de crainte, de foi ou de terreur.
Des fuyards, des exilés, des éclaireurs, des lépreux, des soldats en déroute, des soldats en campagne, des explorateurs, des fantômes, des princes sans royaume : nul ne sait.
Parfois l’un d’entre eux se replie mollement sur ses membres inférieurs et s’effondre sur place pareil à un pantin aux fils soudains rendus lâches ou rompus. Il y a fort à parier qu’il ne se relèvera pas. Que la nuit recouvrira telle quelle la masse inerte de son corps, et la nuit suivante, et la nuit des temps.
Les autres continuent. Peut-être est-ce cela qu’ils cherchent : de loin en loin un cairn solitaire fait de chair et d’os confits dans la glace, seuls points de repère sur leur chemin. Les restes de ceux qui les ont précédés. Ce serait la sagesse même. Car, à bien y songer, toute autre trace paraît vaine. Tout autre héritage. La route des morts est la seule qui tienne.
Oui, mais les morts se ressemblent. Alors il n’est pas exclu qu’ils soient déjà passés par là. Qu’ils suivent leurs propres pas et fassent et refassent le même itinéraire. Il n’est pas dit que ces dépouilles à qui ils s’en remettent ne soient pas celles de leurs mères ou de leurs fils ou de leurs frères naguère laissés à l’abandon. Il n’est pas dit finalement que ce ne soit pas les leurs.
Alors ce serait donc ça – les fameuses âmes errantes ? Dieu qu’elles ont l’air misérables, en effet. Et les limbes seraient ce continent glacé où elles évoluent entre la terre blanche et le ciel blanc et austère ?
Tant de légendes ont couru.
Cependant la troupe est en marche, et de quelque nature que soient ceux qui la composent, ils persévèrent, ils s’acharnent, ils ne renonceront pas. Et toujours autour d’eux le silence et le froid. Et toujours en eux, peut-être, les chansons et les muettes prières.
On leur avait pourtant dit que l’hiver serait long. »

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« Si mon enfant tu sors ce soir
Prends ton manteau dans le couloir
Et prends mon amour pour escorte
Car il peut que cette porte
Derrière laquelle ton pas décroît
Ne soit pas celle que tu crois. »



READ DURING WEEK 37/05

3 comments:

Anonymous said...

J'ai connu un grand bonheur amer en découvrant ce bouquin. Pour tout dire je me suis arrètée à la lecture de la troisième nouvelle car toutes semblent admirablement écrites mais aucune j'en suis sûre ne saurait ébranler autant que la première parce qu'elle est sublime, profonde, parce qu'elle transpire de solitude et d'humanité.

Anonymous said...

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Anonymous said...

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